« Essaye de ne pas re re-déménager dans l’année à venir » me dit Amandine alors que je la raccompagnais.
« Qui sait ? Répondis-je en souriant. Merci pour le coup de main ».

Les copains partis, je ramassais les bouteilles et cartons de pizza – vestiges de l’apéro de fin de déménagement – et m’affalais dans le canapé. En 36 ans, j’avais habité dans tous les coins de la ville sans jamais la quitter hormis l’année passée à Dublin quand j’étais étudiante. « Il y a des globe-trotters, moi je suis une city-trotteuse », me dis-je en moi-même. Fatiguée, je me frayais un chemin dans la forêt de cartons qui m’entourait pour atteindre la chambre. Le lit n’était pas fait. Je fouillai au hasard et trouvai une couverture dans laquelle je m’enroulai et m’endormis.

C’est la sonnette qui me réveilla le lendemain matin. J’attrapai mon téléphone me demandant qui pouvait venir à une heure si matinale et constatai qu’il était midi. J’avais fait plus du tour de l’horloge !
« T’as oublié de te coiffer Tata ! » s’exclama ma nièce quand j’ouvris enfin la porte. « Tiens c’est pour toi », ajouta-t-elle en me tendant une marmotte en peluche.
« Elle a absolument voulu te l’offrir quand je lui ai dit que tu habitais rue des Marmottes », me dit ma sœur en m’embrassant.
Après avoir visité ma nouvelle demeure, nous sommes allés pique-niquer aux Parc des Guilands. Après le repas, je me suis allongée dans l’herbe quelques instants et ai piqué un petit roupillon.

Je passais les jours suivants à aménager mon logement. J’avais pris quelques jours de congés. Les piles de cartons diminuèrent peu à peu. La circulation dans l’appartement devenait chaque jour plus facile. Régulièrement, je m’accordais une sieste bien méritée après plusieurs heures de labeur fastidieux.

Quand je repris le travail la semaine suivante, j’eus toutes les peines du monde à me lever le matin. Il m’arrivait de m’assoupir devant mon ordinateur. Mes pannes de réveils et sieste inopinées provoquaient les moqueries de mes collègues amusés.
Le fait est que je m’endormais un peu partout : dans les transports, au cinéma, en réunion, pendant les repas de famille, aux soirées entre amis… Que m’arrivait-il ? Moi qui n’avais jamais été une grande dormeuse, levée au chant du coq, je faisais des grasses matinées à rallonge.
Inquiète, je finis par consulter le médecin. Intrigué, il me fit faire un tas d’analyses mais resta bredouille quand il s’agit de poser un diagnostic. Il me prescrivit des vitamines mais rien n’y faisait, les cures de sommeil involontaires perduraient.

Un jour, alors que je rentrai chez moi après une énième séance de ciné lacunaire, une idée saugrenue me traversa l’esprit. Arrivant dans ma rue, mon regard se posa sur la plaque indiquant le nom de la voie. « N’importe quoi ! » me dis-je en baillant et en chassant cette idée.
Petit à petit cette idée – absurde à première vue – fit son chemin. Mes efforts pour reléguer ce que je prenais pour de la superstition étaient vains, si bien que je finis par prendre une feuille et un crayon et commençais une liste. A mesure que je noircissais le papier, l’insensé devenait une évidence. Troublée, je proposais à ma copine Amandine qu’on se retrouve au café.
« Je crois que le fait que je dorme tout le temps est lié à mon adresse » lâchais-je alors qu’elle s’installait.
Amandine fronça les sourcils.
« Depuis que j’habite rue des Marmottes, je dors tout le temps », ajoutais-je en réponse à son regard interrogateur.
Elle resta sans voix. Devant son air interdit, je lui tendis ma liste.
« Qu’est-ce que c’est ? » me demanda-t-elle.
«  Ce sont toutes les adresses auxquelles j’ai habité. Il faut se rendre à l’évidence. Tu te souviens de l’époque où je me suis mise à la peinture ? … Et bien J’habitais allée Gustave Courbet ».
Amandine se taisait toujours, alors je continuai.
« Quand je participais activement aux rando rollers, j’habitais rue des roulettes et les années où je m’étais engagée à fond en politique, rue de la Révolution. »

Amandine, se plongea dans la lecture de la liste. Elle levait les yeux de temps à autre, secouait la tête.
« Et pour rue de Vincennes, je vois pas trop le lien… »
« C’est l’époque où je sortais avec Alexandre, il habitait à Vincennes. Le propriétaire a vendu l’appart alors on a emménagé ensemble, rue Alice. Pas besoin de te rappeler le prénom de celle avec qui il est parti vivre à l’autre bout de la terre… ».
« Non, en effet… C’est invraisemblable tout de même… Et maintenant, tu comptes faire quoi ? »
Je réfléchis quelques instants.
« Une nouvelle liste s’impose», annonçais-je en sortant de mon sac un carnet et un plan de la ville.