Chanson douce, Leïla Slimani

Chanson douce, Leïla Slimani

Quel parent n’a jamais éprouvé d’angoisse irraisonnée au moment de confier ses enfants à un(e) parfait(e) inconnu(e) ? Puis s’est bien vite rassuré : la nounou embauchée sur recommandation ou par petites annonces a l’air si gentille… d’ailleurs, les enfants -c’est un signe qui ne trompe pas- lui ont tout de suite sauté sur les genoux sans autre forme de procès d’intention… Alors quoi ? Le père, la mère partent finalement travailler après quelques recommandations d’usage, le cœur presque léger et l’esprit à peu près tranquille puisque tout-va-bien-se-passer…

Si tel est votre cas, jeune parent en recherche de garde d’enfant, mieux vaut vous abstenir de lire pour le moment le troublant roman de Leila Slimani, Chanson douce, paru chez Gallimard en octobre dernier et récompensé par le prix Goncourt 2016. Car vous y découvrirez que toutes les nounous ne sont pas des figures providentielles telle Mary Poppins tombée du ciel sous son parapluie ouvert.

Dans la vie réelle, comme dans Chanson douce inspiré d’un véritable fait divers, les nourrices sont des femmes de l’ombre issues de milieux souvent défavorisés, qui gardent les enfants des autres faute d’avoir pu faire des études et accéder à un réel choix de métier. Ces nourrices-là, les vraies, sont condamnées à l’abnégation, secondes mères payées au smic et reléguées à l’arrière-plan domestique à élever des gamins qui ne sont pas les leurs. C’est ce drame silencieux que va vivre Louise au sein de cette famille qui se prétend quasi sienne et qui, sous couvert de la traiter comme une presque-amie qu’on emmène en vacances et à qui on offre le café, oublie de la considérer pour ce qu’elle est : une personne à part entière à la dérive de sa propre vie solitaire.


Dans ce roman noir qui nous hante longtemps après l’avoir refermé, aucun suspense. Dès la première ligne, le drame est consommé : «Le bébé est mort» et si «la petite, elle, était encore vivante», c’est pour succomber immédiatement après dans l’ambulance. Reste à comprendre pourquoi on en est arrivé là, et c’est en remontant le temps sous la plume factuelle, froide et précise de Leïla Slimani que peu à peu, nous allons découvrir les ressorts implacables de cette tragédie moderne.

Myriam et Paul sont deux jeunes cadres dynamiques qui ont tout pour être heureux : un bel appartement dans un coin bobo du XXème arrondissement, des carrières prometteuses, des amis fidèles, et surtout deux beaux enfants. Lorsqu’à l’issue de sa seconde grossesse, Myriam décide de retravailler, Paul se met en chasse de la nourrice idéale et finit enfin par tomber sur la perle rare : Louise. « Quand elle raconte ce premier entretien, Myriam adore dire que ce fut une évidence. Comme un coup de foudre amoureux. Elle insiste surtout sur la façon dont sa fille s’est comportée (…). C’est elle qui l’a choisie, aime-t-elle à préciser. »

Progressivement, Louise prend une place énorme dans la petite famille. Elle devient la confidente, celle sur qui on peut toujours compter, même le soir tard, même le dimanche. De plus en plus souvent, Louise reste dormir sur la canapé du salon. Imperceptiblement, elle se rend indispensable. Jusqu’à parfois rendre Myriam secrètement jalouse…

De courts chapitres en descriptions ciselées des états d’âme respectifs des divers protagonistes, Leila Slimani nous invite peu à peu à entrevoir le vide abyssale de la vie affective de Louise et nous, lecteurs saisis d’effroi, ne pouvons déloger de notre esprit ce roman touchant, perturbant et tout simplement glaçant !


Chanson douce, Leïla Slimani, Gallimard, 2016