Elle signa la lettre, posa son stylo. Dans le tiroir du bureau, elle prit une enveloppe et se dirigea vers le fauteuil où elle se blottit pour la relire une dernière fois.

Pablo,

A l’heure de WhatsApp et autres messageries instantanées, il peut sembler d’un autre temps d’écrire une lettre mais les mots me viennent plus aisément quand je les couche sur le papier que quand je les martèle sur un clavier.

Je sais peu de choses de toi et pourtant j’ai l’impression de te connaître, c’est étrange. Il y avait comme une évidence. Les moments passés ensemble, si brefs furent-ils, étaient d’une simplicité sans égal.

Qu’est-ce qu’il m’a pris ce soir-là ? Je ne sais pas trop. D’ordinaire, je suis plus timide. Peut-être est-ce la magie des murs à pêches ou la douceur de cette nuit d’été. J’ai été la première surprise de cette audace soudaine qui m’a encouragée à te suivre dans le dédale des jardins. C’était un peu comme une chasse au trésor.

Le temps s’est écoulé avant que nos chemins se croisent de nouveau : ton boulot, mes vacances… Manque de coïncidence mais l’absence a attisé le désir et le moment venu n’en était que plus intense.

J’idéalise sûrement cette historiette. J’ai dû reléguer aux oubliettes les doutes qui fourmillent dans la tête et font des nœuds à l’estomac. Je me suis sentie légère comme une plume  mais je savais que cette légèreté ne pouvait durer. Sans liberté pour s’envoler au gré du vent, une plume perd de son charme.

Je suis persuadée que la magie tient au côté éphémère. Cette idylle s’est évanouie aussi vite qu’elle était apparue, comme une bulle qui danse  et montre ses couleurs irisées dans les rayons du soleil avant d’éclater.

Reste un charmant souvenir.

                Je t’embrasse.

 

 Elle hocha la tête en souriant, plia la lettre et la glissa dans l’enveloppe qu’elle cacheta avec soin. Dessus, elle inscrivit le nom de son destinataire.

Laissant la lettre sur la table basse, elle se dirigea vers la chambre où elle s’agenouilla à côté du lit. A tâtons, elle farfouilla dessous et sortit une boîte en carton. D’un souffle, elle retira la poussière qui s’était déposée depuis qu’elle l’avait rangée là. Elle retourna se caler dans le fauteuil.

Elle souleva le couvercle et le posa pour pouvoir explorer plus facilement le contenu de la boîte. Elle était au trois-quarts pleine d’enveloppes rangées les unes derrière les autres. Il y en avait des fines comme celle qu’elle venait de cacheter, des un peu plus épaisses, et même quelques enveloppes vraiment volumineuses comme gonflées par leur contenu. L’écriture enfantine sur la première enveloppe  révélait l’ancienneté de ce rituel. La première lettre, elle l’avait écrite à sa copine Amélie, quand celle-ci avait déménagé à l’autre bout du monde et que ce départ l’avait tant attristée. Elle ne l’avait jamais envoyée mais avait conservé l’habitude d’écrire à chaque fois que la vie la séparait d’un être cher quelle que soit la raison. Elle archivait ainsi ses souvenirs.

Elle parcourut les lettres une à une. Nul besoin d’ouvrir les enveloppes, elle se rappelait du contenu de chacune, enfin presque. De temps à autre, il lui arrivait de ne plus se souvenir. Alors elle passait à la suivante, cela lui reviendrait plus tard. Peu importe la raison pour laquelle sa mémoire défaillait, elle n’irait pas contre.

 Les expressions de son visage reflétaient les émotions qui la traversaient au fur et à mesure qu’elle se remémorait les souvenirs contenus dans chacune des lettres. Certains prénoms revenaient à plusieurs reprises, certains ne reviendraient plus comme ceux de ses grands-pères ou celui de cet ami qui, du jour au lendemain, n’avait plus donné signe de vie. Encore que pour ce dernier, une réapparition soudaine aussi inopinée que la disparition n’était pas exclue.

Après avoir passé en revue chaque enveloppe, elle glissa celle destinée à Pablo derrière les autres et referma le couvercle sur tous ses souvenirs. La boîte rejoignit sa place sous le lit… jusqu’à  la prochaine lettre.