Au loin, dans l’espace, on ne voit que des petits points lumineux. Ils ne sont que des souvenirs de périodes très anciennes. Nous n’en percevons que le feu de l’explosion silencieuse. Chaque tragédie nous arrive avec des milliers d’années de retard. Cela doit être pour cela que nous sommes si peu touchés par la disparition d’une étoile. Après tout, nous sommes tellement occupés sur la nôtre que le sort de l’univers ne nous importe peu. Pourtant, parfois, sans que l’on s’y attende, certaines choses peuvent changer à tout jamais.

Cela avait commencé doucement. Il y avait eu quelques articles dans la presse locale. En plus ça tombait bien, il y avait l’école horticole jusqu’à côté. On avait interviewé les professeurs à plusieurs reprises mais ils n’avaient trouvé aucune explication. Au fil des jours, les badauds venaient de plus en plus nombreux chaque jours. On vit même quelques personnes venir déposer des cierges à l’entrée du parc des Beaumonts. Le phénomène continuait de s’étendre. La mousse avait continué sa progression. Après avoir totalement recouvert le terrain de basket à l’entrée du Bel Air, elle avait gagné la piste d’athlétisme un peu plus loin. Elle formait maintenant une sorte de tapis d’un vert immaculé. Au bout de quelques heures, des champignons venaient colorer par-ci par-là la grande étendue de taches marrons et blanches. En deux jours, des grands arbres étaient apparus également. L’intérieur du parc avait lui même changé. On ne distinguait plus les installations sportives jaunes. De la rue, on ne voyait plus la ville au loin mais une forêt profonde et mystérieuse. De l’autre côté, le cimetière ressemblait à une vaste colline boisée où s’entassaient des pierres d’une civilisation ancienne. Les jours de pluie, l’eau ruisselait le long des allées. Près du portail d’entrée, un lac s’était formé. De grands oiseaux aux longues pattes y venaient chaque jour pêcher des poissons à l’aide de leur bec puissant.

Ce phénomène n’était pas isolé. Au Parc Montreau, le terrain de football avait disparu longtemps. Le musée de l’Histoire Vivante ressemblait à un ancien temps enfoui dans une luxuriante végétation. La grand plaine en contrebas était passée d’un vert foncé à de grandes herbes jaunes pâles. Sous le poids des branches, les grandes barrières entourant le parc avaient cédé. La station service était maintenant couverte de lianes. Des grands singes avaient pris possession des lieux et défendaient leur nouveau territoire.

Un peu plus loin, la déchèterie était envahie de grands rochers. Aucun animal n’avait souhaité vivre ici. Par contre, la nouvelle piscine à proximité servait de point de rendez vous aux grands animaux. Dans cet espace bordé d’arbres géants, certains prétendent avoir vu au loin un troupeau d’éléphants. Désormais les parcs du nord de la ville ne faisaient plus qu’un et abritaient toutes sortes de mammifères. Quelques aventuriers téméraires avaient organisé une expédition au cœur de cette nouvelle forêt. Dans la grande plaine de Montreau, on avait aperçu une meute de loups. A la tête, le couple dominant montrait la voie traversant la steppe enneigée.

Un peu plus au sud, la grande forêt parisienne était elle aussi sortie de son lit. Elle donnait au château des allures de temple Inca caché dans la jungle. Comme au nord, la mousse avait fait son apparition avant que, quelques nuits après, des grands arbres viennent ponctuer le paysage. Le bas de la ville ressemblait désormais à une grande forêt nord américaine. Le square République abritait une famille d’ours. Elle s’était mise à l’écart du parc des Guilands qui correspondait plutôt au territoire des hyènes. Celles-ci avaient pris possession du parc devenu une grande savane. Elles représentaient une trop grande menace pour les jeunes oursons, comme les guépards et les crocodiles.

Sur la place ovale à Croix de Chavaux, des grandes herbes jaunes cachaient la grande famille des lions. Leur territoire allait désormais jusqu’à 7 chemins. En remontant vers la Pêche, un grand troupeau de zèbres leur servait de garde_manger. Derrière l’église recouverte de buissons épineux, une colonie d’antilopes broutait de l’herbe tranquillement à l’écart des grands prédateurs.

En haut de la mairie, à côté de l’horloge, plusieurs aigles avaient fait leur nid. La grande place leur servait de terrain de chasse. Plusieurs lapins avaient pris possession du centre commercial laissé à l’abandon. Au plafond de la grande surface, les chauves souris attendaient patiemment la nuit pour sortir. En haut des grues, les vautours volaient en cercle à la recherche d’un festin terminé trop tôt.

En remontant vers le nord, les routes et les habitations ont été ensevelies par le craquement de la croute terrestre. Des geysers d’eau chaude ont fait leur apparition au niveau du marché Paul Signac. Seule la desserte de Fontenay avait tenu bon face à l’effondrement des sols. En haut du pont traversait parfois un troupeau de bisons.

Vous devez vous demander qui écrit tout cela. Dès le début de l’envahissement de la végétation, les autorités avaient ordonné le déplacement de la population. Avec l’arrivée des animaux sauvages, la zone est devenue totalement inhabitable car dangereuse. Au fil des semaines, la végétation a continué de s’étendre, d’abord aux villes aux alentours puis  à la région et au continent tout entier. Au bout d’un moment, les relais téléphoniques ont cessé de fonctionner. Déjà isolé depuis le début de ma mission d’observation  de la ville, je n’ai désormais plus aucun contact avec le monde civilisé. Je me demande vraiment ce qu’il est devenu de l’humanité. En attendant, j’écris ces derniers mots pour expliquer comment tout cela est arrivé. Peut être qu’un jour quelqu’un voudra savoir ce qu’il s’est passé.  J’espère que l’Histoire des Hommes ne tombera pas dans l’oubli.