Episode 4 : Catherine, Félix…

Décembre 2017

Robert Planchon, 86 ans – Yvette Rocher 78 ans – Hortense Lechat veuve Legris, 79 ans… Hortense Lechat : ce nom ne lui était pas inconnu. Catherine leva les yeux de la rubrique nécrologique qu’elle parcourait machinalement. Elle se souvenait de cette femme qui travaillait à la quincaillerie, elle aimait bien discuter avec elle quand – enfant –  elle accompagnait son père qui allait chercher dans la boutique clous, vis et autres matériaux de bricolage. C’est Hortense qui lui avait donné l’idée de poser des affiches quand son chat avait disparu.

….

Octobre 1964

Le bien-être qu’Hortense avait ressenti après avoir tué le chat gris n’avait duré qu’un temps. Elle avait vite eu honte de son geste et s’était promis de ne pas recommencer. Vaine résolution…

Il y avait eu un chat tigré non loin de la place du marché, un chat noir aux abords du parc Montreau… et bien d’autres. A chaque fois qu’un événement venait raviver la blessure de son histoire avec Jo, un félin en faisait les frais. Hortense – submergée de tristesse et de colère – trouvait dans son geste un apaisement immédiat mais éphémère, qui laissait vite place à un sentiment de honte de s’être pour ainsi dire « vengée » du Félin disparu sur un félin inoffensif.

Le passé  imprimait sa marque sur le présent, Hortense n’arrivait pas à s’en dépêtrer. Ses fantômes lui laissaient des moments de répit mais elle ne parvenait pas à les faire disparaître. En avait-elle seulement envie ?  Elle menait une vie routinière, entre son appartement sur le plateau et la quincaillerie. Elle sortait peu : une visite un dimanche de temps en temps à sa famille,  une balade avec une amie dans un des grands parcs de la ville et parfois un film au Normandy derrière la Mairie ou au Familial, le cinéma boulevard de la Boissière.

Hortense se sentait bien dans la boutique. Ses patrons comme les clients l’appréciaient. Hortense gardait ses distances, restait discrète. Au fil des mois, elle fit la connaissance de tous les habitués. Il y avait parmi eux Monsieur Martin qui venait souvent accompagné de sa fille Catherine âgée de 8 ans. Pendant que son père discutait, la fillette se baladait dans les rayons. Elle avait pris Hortense en affection et réciproquement.

Félix était un autre habitué de la boutique. Plombier, il venait en bleu de travail pour chercher le matériel nécessaire à ses chantiers. Un jour, la patronne d’Hortense lui fit remarquer qu’elle plaisait bien à Félix, Hortense haussa les épaules. Plus tard, quand Félix poussa la porte de la quincaillerie, elle l’observa. Quand il l’aperçut, son visage se fendit d’un large sourire, Hortense le salua et retourna s’affairer dans les rayons. A chacun de ses passages, elle avait l’impression que Félix essayait de lui parler mais elle ne lui en laissait pas vraiment l’occasion.

 

Les jours passaient et rien de ne venait ébranler la routine bien rodée d’Hortense jusqu’à ce matin de printemps où Catherine arriva avec son père la mine toute triste.

« Qu’est-ce qu’il se passe ? – lui demanda Hortense quand elle vint la trouver alors qu’elle rangeait les pots de peinture – tu as pleuré ? »

« C’est Tigrou, il a disparu, répondit la fillette en reniflant, je l’appelle mais il ne revient pas. »

« Qui est Tigrou ? »

« Mais c’est mon chat, il est roux, pas toujours très commode, mais je l’aime beaucoup. Tu ne l’as pas vu ? »

« Non je ne l’ai pas vu. Ne t’inquiète pas trop, il va revenir », répondit Hortense, pas très à l’aise. « Peut-être que tu pourrais faire des affiches, que tu collerais dans le quartier. Si quelqu’un le trouve il te le ramènera » suggéra-t-elle.

Cette idée plut à l’enfant, qui alla immédiatement retrouver son père. « Papa, Papa – dit-elle en le tirant par la manche – il faut qu’on rentre, je voudrais faire des affiches pour retrouver Tigrou ! ».

Monsieur Martin paya ses achats et partit avec la fillette qui le pressait, laissant derrière eux une Hortense troublée mais aussi soulagée, sa dernière victime – un vieux chat brun au poil hirsute – ne ressemblait en rien à description de Catherine.

A peine le père et la fille furent-ils partis que Félix entra. Il avisa Hortense dans le rayon peinture et s’approcha. Il sortit de sa poche un papier soigneusement plié et le lui remit sans dire un mot. La jeune femme le regarda d’un air interrogateur mais Félix n’eut pas le temps de répondre, alpagué par le patron d’Hortense :

« Bonjour Félix de quoi as-tu besoin aujourd’hui ? »

Le jeune homme se dirigea vers le comptoir pour passer sa commande. Quand il se retourna, Hortense n’était plus dans le rayon.

 

Dans le bus qui la ramenait chez elle, Hortense se remémora la journée, la peine de Catherine. Elle ne pouvait s’empêcher de se dire qu’elle aurait pu être à l’origine de la disparition de Tigrou.

Elle descendit toujours perdue dans ses pensées. Enfonçant les mains dans ses poches, elle trouva le papier que Félix lui avait donné quelques heures plus tôt et qu’elle avait enfoui là sans même le lire. Elle déplia la feuille. Au centre quelques mots d’une écriture appliquée :

                                                                      Voulez-vous m’accompagner au cinéma ?

                                                                      Rendez-vous dimanche au Familial pour la séance de 18h.

                                                                                                                                        Félix

Hortense replia le papier et le remit au fond de sa poche. Des foules de souvenirs l’assaillaient, des bons comme des mauvais. Aller au cinéma avec un autre homme que Jo, cela lui semblait inconcevable et pourtant il n’était plus là et passer à autre chose lui ferait le plus grand bien. C’est sur cette réflexion, qu’arrivée devant la porte de son immeuble, Hortense entendit un miaulement. Elle aperçut un chat qui l’observait, assis non loin du recoin où elle avait laissé le cadavre du chat gris, sa première victime. Tout se bousculait dans sa tête : la disparition de Jo, celle de Tigrou, le chagrin de Catherine, l’invitation de Félix… D’un psccht, Hortense chassa le chat, et rentra chez elle, soulagée d’avoir pu faire taire ses démons sans faire de nouvelle victime.

 

Le lendemain, Catherine arriva les bras chargés d’un gros matou roux. « Il est revenu hier soir », dit-elle toute contente en tendant l’animal à Hortense qui instinctivement prit le chat dans ses bras et commença à le caresser.

« Je crois qu’il t’aime bien, affirma la fillette. D’habitude, il ne se laisse pas trop caresser par des gens qu’il ne connaît pas».

La joie de la fillette toucha Hortense autant que sa détresse de la veille. La nouvelle du retour du chat la rendit gaie tout le reste de la journée. Quand Félix passa à la boutique ce jour-là, elle lui glissa discrètement « à dimanche ».