Elle lui avait dit être bretonne et serveuse dans un bar à Montreuil. Hormis qu’elle s’appelait Maëlle, c’est à peu près tout ce qu’il savait d’elle.

Août 2015
Ils s’étaient rencontrés, âmes esseulées au milieu de la foule qui, tous les deux ans, envahissait le port de Paimpol pour le festival des chants marins. L’un comme l’autre, ils étaient venus avec quelques amis mais s’en étaient trouvés séparés. Rien d’étonnant dans cette cohue. Chacun de leur côté, ils avaient vainement recherché leur bande, puis, un concert allant commencer, ils s’étaient posés non loin de la scène. Les retrouvailles seraient pour plus tard.
Elle se tenait debout à côté de lui. Sur la pointe des pieds, elle scrutait la foule. Il avait engagé la conversation. Elle lui avait raconté sa mésaventure et ils avaient ri de leur sort commun. C’était la fin de ses vacances, le lendemain, elle reprendrait la route pour rentrer chez elle. Les musiciens arrivèrent sur scène, les premiers accords résonnèrent. Ils s’étaient tus, échangeant seulement quelques regards. Elle dansait, remuant les hanches au rythme de la musique, le frôlant parfois. A un moment, il s’était penché, l’avait embrassée puis ils avaient continué à écouter le concert se rapprochant de temps à autre. Vers la fin du concert, il entendit une voix s’exclamer vivement :
« T’es là ! On t’a cherchée partout ! Viens »
Le temps de tourner la tête en direction de la voix, il vit celle qu’il embrassait un peu plus tôt s’éloigner, entraînée par ses potes qui la tiraient par le bras. Leurs regards se croisèrent mais déjà la foule se refermait sur elle. Il se retrouva seul dans la foule, un peu abasourdi. Allant se chercher une bière, il croisa ses potes et termina la soirée avec eux.

Septembre 2015
Cela faisait déjà trois semaines qu’elle était revenue de vacances et avait repris sa routine quotidienne : installer la salle et mettre le couvert, inscrire le plat du jour sur l’ardoise, discuter avec les habitués… Dans les moments de calme avant et après le rush du midi, elle rêvassait, accoudée au bar. Souvent elle avait repensé à Loïc, au concert. Il lui arrivait de maudire ses potes de l’avoir ainsi arrachée sans qu’elle ait eu le temps de réagir. Elle ne savait pas grand-chose de lui. Il travaillait cet été là sur la côte bretonne. Vivant dans son camion avec son chien. Il devait être parti faire les vendanges à présent. A quoi bon y penser…

Avant de partir dans le Val de Loire faire les vendanges, il avait tenté de la retrouver malgré les maigres indices dont il disposait. Il avait sorti son guide de la route de dessous le siège du conducteur et cherché Montreuil. La longue liste des commune s’appelant Montreuil l’avait décontenancé. Rien qu’en Ille et Vilaine, il en comptait 4. Le détour ne serait pas trop long alors – quand il prit la route pour embaucher aux vendanges – il passa dans les Montreuil bretons. Il n’y avait de bar ni à Montreuil sur Ille, ni à Montreuil des Landes, et pas non plus à Montreuil sous Pérouse. A Montreuil-le-Gast, il y avait bien un bar mais pas de serveuse. Elle avait dit être bretonne certes mais cela ne voulait pas nécessairement dire qu’elle vivait en Bretagne.
Ses chances étaient maigres mais il fit pourtant d’autres étapes en descendant vers le Val de Loire. En passant dans le Maine-et-Loire, il ne trouva aucune Maëlle dans les bars de Montreuil Juigné, pas non plus aux Petits tonneaux de Montreuil Bellay. Peu à peu, l’idée qu’il pourrait la retrouver lui semblait irréalisable. Il y avait trop de Montreuil et trop peu d’éléments pour orienter ses recherches.

Octobre 2015
Le camion filait sur l’autoroute. Les vendanges terminées, il avait décidé de séjourner dans la capitale. Y voir quelques potes et profiter des derniers beaux jours pour se balader dans la ville. Passant la porte de Montreuil sur le périph, il hésita… Peut-être plus tard.
Un soir, il annonça son intention d’aller se balader à Montreuil le lendemain.
« Tu verras, il y a pleins de lieux où sortir » lui dit un de ses potes.
Cela ne l’arrangeait pas vraiment même s’il se doutait qu’une ville comptait plus de bars et de café que les bleds dans lesquels sa quête l’avait mené jusque-là. Il n’en dit rien. Il n’avait pas trop envie de se faire charrier s’il dévoilait le but de cette balade.
Le lendemain, il se rendit donc à Montreuil. Il gara son camion non loin de la mairie et commença à errer dans les rues au petit bonheur la chance. Ne dit-on pas que la fortune sourit aux audacieux ?

Août 2017
Il remonta quatre à quatre les marches qui le menaient à l’appartement, sortit ses clefs et ouvrit la porte. Sur la table du salon, il récupéra le guide de la route, essentiel à leur expédition mais pourtant oublié. Il ressortit de l’appartement, ferma la porte et grimpa dans le camion où l’attendaient Maëlle et le chien.
« Au revoir Montreuil » dit-il en démarrant
« Bonjour Montreuil » dit Maëlle
« Puis Montreuil »
« Et encore Montreuil »
Les attendait un périple semblable à celui qu’il avait fait deux ans mais en sens inverse avec pour destination finale une ville en bord de mer, un port, un festival.