Sur le boulevard Rouget de Lisle, un étrange tricycle roulait à vive allure. Il commença à ralentir au niveau de la poste, puis, en montant sur le trottoir, se gara à côté de la pharmacie. La conductrice descendit et attacha le véhicule au poteau. Après avoir traversé la rue, elle ouvrit le rideau de fer de la boutique. Au dessus de la vitrine on pouvait lire : « Atelier sur mesure, concept store éthique…… by Fatimata Sy ».

En fin de matinée, une femme entra dans la boutique. C’était une femme assez grande. Ses cheveux détachés descendaient en dessous de ses épaules. Il était difficile de lui donner un âge. Il semblait que le temps n’avait pas de prise sur elle. Elle portait une grande tunique avec des motifs colorés un peu étranges.

La femme regardait attentivement les bijoux dans la vitrine. Elle portait un collier tressé avec des pierres de couleurs différentes. Fatimata stoppa son activité. Du fond du magasin, elle regarda avec curiosité les motifs de la robe de la femme. Malgré ses connaissances, elle ne parvint pas à déterminer de quelle région du monde pouvait venir ce tissu. Fatimata se dirigea alors vers la femme à l’entrée du magasin.

« Bonjour, je m’appelle Fatimata. Bienvenue dans ma boutique. »

L’étrange femme répondit:

« Bonjour, je viens d’emménager avec mon compagnon dans la ville. J’ai entendu parler de votre magasin et je me disais que peut-être vous pourriez faire quelque chose pour moi ? »

« Je vous écoute. Comment puis-je vous aider ? » interrogea Fatimata

« Voilà, comme je vous disais, avec Adama, mon compagnon, nous venons de nous installer pas très loin. Il me semble que cela faisait des siècles que je n’avais pas fait de tri dans mes affaires. Adama n’en pouvait plus. Depuis la nuit des temps je collectionne les tissus de toutes sortes, de tous les pays. Nous avons habité un peu partout dans le monde et avec le temps… j’ai entassé tout un tas de textiles. Et quand nous avons déménagé dernièrement, Adama m’a parlé de votre boutique. Il m’a dit que je devais faire quelque chose de tous ces tissus, sinon il m’a dit aussi qu’il serait tenté de les jeter. »

Fatimata regarda la femme, amusée. Elle sourit et reprit:

« Je peux faire quelque chose pour vous. Je récupère des tissus et je les transforme en vêtements. Tenez, par exemple, votre robe là… Je peux vous faire différents modèles sur mesure si vous m’apportez du tissu. Je vais prendre vos mensurations comme cela je pourrais vous faire par exemple une robe identique à la vôtre ».

La femme sourit à son tour:

« Cela me semble parfait. je suis à vous. »

Après avoir fini de prendre toutes les mesures, la femme s’adressa à la couturière :

« Merci beaucoup. Je repasserai demain pour vous déposer mes tissus dès l’ouverture. Choisissez le tissu qu’il vous plaira. J’ai beaucoup à faire dans la journée avec notre emménagement. »

Fatimata répondit:

« Très bien, venez demain à 10h, je serais là. Je vous raccompagne Madame. Je vous souhaite une bonne fin de journée ».

Après avoir salué l’étrange femme, Fatimata reprit son travail dans son atelier. La saison des mariages allait bientôt débuter et il restait beaucoup de robes à dessiner, à coudre et aussi à retoucher. De plus, les inscriptions pour les cours de couture étaient complètes.

Le lendemain, le tricycle roula sur le boulevard à une allure encore plus folle que d’habitude. Un bol de céréales renversé et c’est un peu la course pour emmener les deux filles à l’école. Fatimata regarda sa montre : 10h10.

Après avoir garé son tricycle, elle traversa le boulevard et en s’approchant de sa boutique, elle vit un gros sac en toile posé par terre. Elle jeta un œil rapide à l’intérieur et y découvrit différents tissus. Elle regarda autour d’elle mais ne vit personne dans la rue Victor Hugo. Elle pensa tout de suite à l’étrange femme d’hier. Elle avait dû passer pour l’ouverture. Mais visiblement elle était partie.

Une fois à l’intérieur de sa boutique, Fatimata s’installa à son atelier. Elle sortit les différents tissus du sac et commença à les inspecter. Son visage s’illumina.

Sur la table se trouvait une dizaine de pièces de tissus aussi magnifiques les uns que les autres. Fatimata les inspecta avec minutie. Leurs fabrications paraissaient ancestrales et témoignaient d’un travail que l’on ne retrouve plus aujourd’hui. Les couleurs étaient vives et profondes et tous les motifs étaient cousus à la main. Il lui était difficile de connaitre la provenance des différents tissus. Certains semblaient venir d’Asie, d’autres d’Afrique et d’Amérique du Nord. Certains tissus rappelaient la Grèce antique et la grandeur de Rome. D’autres semblaient avoir été fabriqués par des amérindiens.

Fatimata les inspecta longuement comme un trésor déterré du passé. Elle sortit ensuite prendre un café. Accoudé au comptoir, elle restait étonnamment silencieuse, encore émerveillée par l’extraordinaire qualité de ces tissus. Puis, après avoir reposé sa tasse vide sur le zinc, elle regarda le barman et lui dit en se retournant: « allez, au boulot ». Elle passa une grande partie de la journée à travailler sur la robe.

Quelques jours plus tard, l’étrange femme entra dans la boutique. Fatimata vint à sa rencontre.

« Bonjour, comment allez vous ? Excusez mon retard l’autre jour. J’ai vu que vous avez laissé un sac de tissu. J’ai fini la robe que vous m’avez demandé. Mais ces tissus…. je n’en ai jamais vu des aussi beaux, aussi travaillés. J’ai l’impression de toucher des pièces de musée tellement ils sont incroyables….. »

La femme sourit et répondit:

« Oui, je les collectionne depuis toujours. Et puis nous avons tellement voyagé que j’ai pu en acquérir des centaines ».

Fatimata répondit avec étonnement:

« Des centaines ? Si vous le souhaitez, je peux vous faire différents modèles, des robes, des sacs… ce dont vous avez envie !!! »

L’étrange dame répondit:

« Avec plaisir, Adama sera ravi que ces tissus puissent servir à quelque chose ».

Fatimata alla chercher la robe qu’elle avait confectionnée.

L’étrange femme se montra extrêmement ravie du résultat et s’adressant à la couturière, lui dit avec un grand sourire

« C’est du très beau travail , merci beaucoup. Au fait, je ne me suis pas présentée. je m’appelle Awa. »