Il y a des concerts toutes les semaines un peu partout dans la ville. Il y en a pour tous les goûts. Enfin presque. Il lui arrivait de pester face aux énièmes concerts de punk. Mais il ne rechignait pas à participer à tous les concerts de soutien dont il avait eu connaissance. Un beau jour il décida de sauter le pas. C’était décidé, il allait monter un groupe. Mais il ne connaissait personne avec qui jouer. Alors il commença par publier une petite annonce.

Après quelques mois sans réponse, il réussit à rencontrer différents musiciens. Parfois il leur donnait rendez vous à la Pêche où il louait des heures de studio de répétition. Il fit la connaissance des gens sympas, mais mauvais musiciens. Ou du moins pas du niveau qu’il souhaitait. Il rencontra des très bons musiciens mais il sentit rapidement que cela n’allait pas marcher. Parfois, dans les groupes, c’est un peu la guerre pour composer des morceaux. Chacun veut une place et ne se trouve pas assez fort par rapport aux autres instruments. Il sentait bien que cela finirait comme ça alors il ne donnait pas suite. Une fois, un musicien arriva 40 min en retard car sa lessive n’était pas finie. Un autre jour un autre arriva en retard car il s’était endormi. De plus, le fait de sortir de la capitale parfois donne l’impression de traverser le monde et en décourage plus d’un.

Puis un jour, il trouva deux musiciens avec qui le courant semblait passer. Rapidement il organisa des petits concerts. Une fête de la musique à la Comedia. Un autre plan dans un bar. Ce ne sont pas les lieux qui manquent dans la ville. Après quelques années le groupe participa à un concours organisé par le café la Pêche.

Les soirs où il faisait beau on les voyait trainer au Mange Disque ou à Beers & Records. Parfois ils se souvenaient en rigolant des plans foireux qu’ils avaient eu ensemble : une date fantôme sans que le patron du bar soit informé, une date entre un groupe de black metal et un groupe de jazz, un patron de bar de mauvais poil dès que l’on commence à tester la batterie… Il y en a bien d’autres à raconter. Ils connaissaient très bien la vie des musiciens amateurs. Comme beaucoup d’autres avant eux, chacun a commencé avec un matériel rudimentaire avant de pouvoir s’en offrir un de meilleur qualité. Au début, tous ont eu mal aux doigts, aux mains et au cou. Ils ont passé des heures à s’entrainer, à essayer de jouer un morceau de Nirvana, de Cure ou de Pink Floyd. Certains ont cru être de nouveaux génies avant que la réalité ne les fasse vite redescendre. Certains pensent encore qu’ils le sont. Un jour, les mains, les doigts arrivent à se placer tout seuls, comme par magie. On oublie alors les mois et les années assis sur un ampli, sur un tabouret à essayer de sortir un son convenable. Puis, on arrive à écrire quelques chansons. Et après ?

C’était un lundi soir, il regarda sa montre. Il devait partir dans 5 minutes. Il s’était vautré sur le canapé après avoir mangé. Il jeta un oeil par la fenêtre. Les branches des arbres dansaient sous les réverbères. Le stroboscope de la pharmacie rajoutait des éclats verts clairs au spectacle. Au dehors, la pluie s’amusait à changer de direction. Parfois elle tombait de façon oblique, parfois droite suivant le sens du vent. L’heure était venue de partir. Il se leva rapidement et rejoignit la salle de musique. Il enfila son grand manteau et remonta la fermeture jusqu’en haut. Il prit sa guitare et son sac de pédale d’effets. « À ce soir, je ne sais pas à quelle heure je rentre. » « Je sais, amuse toi bien ».  Une fois dehors il enfourcha son scooter et disparut dans la nuit.

Après quelques minutes il s’élança dans la rue Ernest Savart. Il s’arrêta devant les grilles d’une résidence. Sans descendre de son scooter il fit le code d’entrée puis se gara un peu plus loin. Devant la porte d’entrée, il toqua doucement. Une fois, puis plusieurs fois à intervalle régulier. Au bout d’un moment la porte s’ouvrit.

« Salut ça va ? »

« Salut, c’est bon les enfants sont couchés. ».

Tous les deux montèrent à l’étage. Le premier alluma son ordinateur. Pendant ce temps son compère brancha sa guitare et ses pédales d’effet.

« Allez on y retourne, on commence par quoi ? le couplet ? la partie en disto ou alors les passages en clair ?« 

« Les passages en clair, c’est le plus dur.« 

« C’est parti.« 

La pièce était devenue silencieuse. On n’entendait qu’un léger bourdonnement aigu sortir des casques audio. Comme bien souvent la première prise fut presque parfaite. Presque. Mais il fallait la refaire. Le guitariste s’y attela sans rechigner. Jusqu’à ce que la prise soit la bonne. Vers 22H15, le courage et la détermination étaient encore présentes. Au bout de quelques prises, le guitariste joua parfaitement sa partie jusqu’au bout.

Le temps passa. Dehors, la pluie avait redoublé. En levant la tête, on voyait des grosses gouttes s’écraser sur le Velux. Mais ils restaient tous deux indifférents au monde extérieur.

« Bon, on va s’arrêter pour ce soir, il est déjà minuit. »

 » J’en peux plus, on a bien avancé je suis plutôt content. On y retourne la semaine prochaine. »

Il rangea son matériel et descendit sans bruit les escaliers.  Ils se saluèrent.

Il monta sur son scooter et disparut dans la nuit.

Un an après, l’album fut mis en ligne.