Je savais qu’elle était là. C’était tout du moins ce qu’elle m’avait dit. Enfin, quand je dis elle, ce n’était pas vraiment elle directement. J’étais arrivé de la piscine. L’odeur des poulets rôtis en face de la banque est très alléchante. J’aurai dû arriver plus tôt pour éviter la foule .

D’habitude je ne viens pas à celui-ci. Je reste dans mon quartier. Il a beau être collé au périphérique je le trouve quand même un peu à l’écart mais c’est tant mieux car j’aime bien vivre un peu caché. Loin des tumultes de la grande rue ou de la fièvre acheteuse du nouveau centre commercial de la mairie, mon plus grand plaisir était d’acheter un sandwich falafel au marché de la Place de la République. Ces sandwichs sont excellents. Je n’avais plus besoin de commander lorsque je faisais la queue car on me le servait directement enroulé dans une serviette en papier. Parfois le vendeur me le tendait en me parlant du temps qu’il faisait. J’avais l’habitude d’acquiescer d’un mouvement de tête car j’étais pressé de rentrer chez moi pour pouvoir le manger.

Pour une fois, ce dimanche là, j’avais dû changer mes habitudes. J’avais rendez-vous. J’avais rendez-vous avec la tante.  On m’avait toujours dit qu’on la trouverait là-bas. Comme je devais la voir, je portais le costume que j’avais acheté l’année précédente pour le mariage d’une de mes lointaines cousines Je m’étais ravisé au dernier moment et j’avais décidé finalement de ne pas y aller. Même si j’avais déjà acheté le costume,  je me disais qu’il servirait à une autre occasion. Et j’avais eu raison.

Une fois passé le stand de poulets rôtis, je m’étais engagé dans « l’allée des olives ». Devant ce stand, j’avais dû jouer des coudes pour passer. Sans faire exprès, j’ai bousculé un homme en m’accrochant à son casque de scooter. Après m’être excusé, j’ai tourné à droite au rayon des barres chocolatées vendues au détail. A gauche, en passant devant le stand de fleurs, j’ai écouté quelques instants l’accent un peu bizarre de la vendeuse. Puis j’ai continué ma route. La foule était devenue plus dense. Il était de plus en plus difficile de se frayer un chemin. Je m’étais alors réfugié à côté du stand du traiteur chinois. J’avais trouvé là un petit havre de paix, coincé entre d’autres poulets en train de rôtir et l’entrée de la salle du concert.

Comme j’avais un peu de temps devant moi, j’ai observé la foule. Je ne connaissais personne mais chacun avait l’air étrangement familier : les jeunes aux écouteurs, les enfants et leur poussette, les jeunes parents, les personnes âgées….  J’eus alors la sensation étrange que toutes ces personnes  avaient un point commun avec moi.

Je commençais à avoir des vertiges. J’ai repris mon souffle et me suis concentré sur la raison de ma venue : La tante, la place du marché, ce dimanche. Comment la trouver ? On m’avait dit que je la reconnaîtrais facilement. On m’avait dit qu’elle me retrouverait toujours au final.  Je m’étais alors décidé à refaire un tour complet. En passant je m’étais acheté un croissant aux amandes. J’ai fait le tour de la place, j’ai longé la pizzeria. J’ai pris un café à emporter et je suis retourné au même endroit.

Je m’étais demandé quel âge pouvait avoir cette tante. Elle devait être assez âgée probablement. Je ne savais rien sur elle. Ni son nom ni à quoi elle ressemblait. J’avais essayé de me souvenir si on m’avait donné la moindre indication la concernant mais je ne me rappelais de rien. Ou alors pas grand chose : la tante se trouverait ici et je devais l’accompagner quelque part. Je regardais attentivement les personnes d’un certain âge qui passaient dans l’allée devant moi. La plupart continuait leur chemin tranquillement. Parfois nos regards se croisaient, la personne souriait mais ne s’arrêtait pas.

Je commençais a perdre patience. J’avais hésité à refaire un tour dans les allées. J’allais repartir quand j’entendis soudain quelqu’un m’appeler. « Vladimir« . Je cherchais du regard la personne qui avait prononcé mon nom. Je n’avais pas rêvé.

« Comment vas tu Vladimir? »

« Vous connaissez mon prénom, vous devez être ma tante ?  » 

« Oui. Je suis également la tante de toutes ces personnes qui sont en partance. Mais elles ne le savent pas encore. »

Elle désigna alors d’un geste de la main la foule qui se pressait encore devant les étalages. Je trouvais sa réponse étrange. Elle avait l’air assez âgée mais son visage était peu marqué par les rides. Elle portait une robe qui semblait être d’un seul tissu. Je le regardais. Il me semblait que je ne l’avais jamais vu. J’étais assez surpris mais cela n’entama pas ma curiosité.

« On m’a dit que je devais vous accompagner quelque part »

« C’est exact Vladimir »

« Pourriez vous me dire où vous devez aller ? « 

« Ce n’est pas moi qui est attendu, mais bien toi »

« Moi ? Je ne savais pas. On m’attend mais je ne sais pas où. »

« C’est un endroit charmant et tu seras en bonne compagnie »

« Je suis content d’avoir mis mon plus beau costume »

« Oui Vladimir, c’est ce qui était prévu. Il est temps de partir maintenant. »

Elle me prit alors la main et nous partîmes.