C’est l’histoire d’une migration, d’un passage. Il y avait le Vaisseau rue Merlet. Il y aura bientôt un nouveau lieu rue des Quatre Ruelles : le Vaisseau Fantôme. Il ne pèsera pas sur le sol. C’est l’histoire de comment ça se construit, un truc qui ne pèse pas sur le sol.

Vaisseau fantôme
Vaisseau fantôme

Avant de construire il faut déconstruire. Ce n’est pas difficile de dévisser les planches. Elles partiront ailleurs et l’ailleurs ne fait pas peur. L’ailleurs c’est le changement, le changement c’est la surprise, c’est l’invention du monde qui recommence, c’est là qu’il peut se passer des choses intéressantes. Alors démonter, ramasser les vis, stocker le bois et chercher l’ailleurs.

On trouve un ailleurs. L’ailleurs est boisé, ce sera une cabane. Alors construire. Très vite ça monte. 

Il y a des strates dans la construction d’une cabane. La première c’est établir le cadre. On fait un socle bien haut, suspendu et appuyé solide. La cabane montera dans cet endroit, précisément, elle se tiendra sur ce qui est posé là. On met un plancher. C’est à dire des planches. En dessous il y a des traverses.

Tout cela se fait de nuit, pour que le matin ce soit comme une apparition. Dans le noir il y a des lampes de chantier accrochées aux branches et des acrobates qui vissent. Il y a un mec qui a apporté une grande échelle et des cordes. Il y a des très longues poutres, il y a des planches.

Combien de personnes monteront là ? On ne sait pas. Des dizaines. Au fil des ans des centaines peut-être. Pas tous à la fois. La première nuit on n’est pas nombreux et on est fiers comme des oiseaux.

Le socle au début tangue un peu quand les arbres tremblent. Tout cela est bien vivant. On stabilise le bazar à grand renfort de pilotis. On reprend les cordages. C’est toujours vivant mais ça bouge moins.

Le premier étage après. Les panneaux de bois sont hissés. Déjà dans leur vie ils ont été assemblés pour faire les parois d’un bateau, et puis transportés, retaillés, fixés aux murs rue Merlet, dévissés, déplacés, stockés, rapportés. Maintenant on les visse là-haut sur la structure et ça fait des murs de bois rouge. C’est joli du rouge dans le vert.

Après il y aura un deuxième étage, d’autres panneaux hissés. Entre les deux ça communique par un escalier et des mezzanines. Les fenêtres sont rondes. C’est comme ça. Les oiseaux traversent la cabane. Si les fenêtres étaient carrées ils n’oseraient pas. Le dernier étage c’est une bulle au milieu des feuilles et des étoiles avec beaucoup de lumière.

Au final, c’est pour quoi tout ça ? C’est pour faire briller les yeux des enfants, c’est pour faire de la musique, des activités solidaires, une petite cantine participative, une bibliothèque suspendue.

Pour l’instant ce n’est pas très accessible. La cabane peut se visiter tous les dimanches après-midi, mais l’accès est vertigineux. Ceux qui osent grimpent à l’échelle, les autres restent en bas. Quand les murs seront isolés, quand il y aura des rambardes partout au bord du vide, on fera monter l’escalier. On fera monter les petits pieds, les grandes godasses, les jambes lourdes, les légères, tout le monde. En attendant il reste du boulot. Sous la cabane une mer de vis tombées s’étale, les outils s’entassent. Les bras et les dos fatiguent un peu. On maintient le cap : le cap c’est d’ouvrir le plus vite possible un lieu à vivre. Un lieu ouvert à tous les vents. Qui ne touche délibérément pas le sol. Une maison pour les funambules.

Ana Ressouche