Au mois d’avril, un squat associatif situé rue Merlet a fermé ses portes. Le nouveau propriétaire voulait faire place nette pour un projet immobilier. Le Vaisseau s’est donc retrouvé à la rue. C’est à dire mis à l’eau et parti vers de nouveaux horizons. Parce que, pour le dire en quelques mots, le Vaisseau, c’est pas juste un squat, c’est une certaine idée de comment un lieu peut être conçu et construit dans l’idée d’être partagé avec les habitants du quartier, comment un espace peut être aménagé pour favoriser les rencontres, la solidarité, la convivialité, les pratiques artistiques. Alors c’est pas la fermeture d’un grand hangar qui va empêcher tout ça de fonctionner. Il y aura un nouveau Vaisseau. Bientôt.

Bref, en attendant, on vous propose de visiter le Vaisseau d’avant la fermeture, et d’écouter ce qui s’y disait un samedi après-midi. Un samedi après-midi du mois de mars, par exemple. Il y a du monde à la cuisine: l’association Entraides Citoyennes est en train de préparer 400 repas pour sa maraude du samedi soir. Faites-vous tout petit, glissez-vous sous le plan de travail. C’est parti.

le Vaisseau Montreuil
Le Vaisseau cuisine DR

Quelqu’un a vu le chat?

Le chat s’est encore barré. Ce chat c’est tout sauf une peluche. Il est pas doux. Il est libre et c’est sa liberté qui le rend doux.

Donne moi l’économe au manche vert, celui qui épluche les légumes et pas les doigts.

Rajoute encore des épices, Mouss –

Ici c’est la marmite géante pour faire la soupe. Pour les maraudes il y a d’autres marmites plus petites, celles qui conservent la chaleur, les cocottes-thermos rouges accrochées à leur couvercle. C’est celles là qu’on charge dans les voitures.

Rajoute encore des épices, Mouss –

Regarde ça, le mélange pour curry venu tout droit d’Inde, j’ajoute et ça donne du goût. Les épices c’est ça qui donne de la force.

La dernière fois il y avait trop de carottes à éplucher. Trop de carottes.

Tu sais pourquoi on ne met jamais les pommes de terre au début? On les met vers la fin parce que sinon elles tombent toutes au fond et ça fait de la purée. Au début on met l’oignon. Ensuite les carottes, les navet, les betteraves et le chou qui mettent longtemps à cuire. Le poireau. Vers la fin les tomates et les courgettes et les pommes de terre coupées en tous petits dés pour qu’elles cuisent assez vite et qu’elles ne partent pas au fond. Déjà qu’on les a sauvés du trottoir, ces légumes. Il ne faudrait pas qu’ils se noient.

Ici c’est grand. C’est fou de penser qu’il n’y avait rien. Il paraît que dans la grande ville c’est 15% des logements qui sont remplis de rien. Alors que des hommes des femmes et des enfants sont dans la rue.

Ce sont des espaces en attente.

Ici il y a eu quelque chose qui a fait que ça a fini d’attendre. Il était temps.

Qui a eu l’idée de tout ça?

Le lieu lui même peut-être? Quand on est entrés au début c’était un très grand hangar vide avec des trous dans le toit. On a installé du matériel de bricolage dans la grande pièce au fond. On a aménagé des petits ateliers. On a stocké des instruments de musique. Avec les scies et le bois qu’on a récupéré on a fait tout ça. On a fait quelques chambres aussi parce qu’il fallait pouvoir dormir. On a très vite installé le coin cuisine parce qu’il fallait pouvoir faire la soupe pour les maraudes du samedi.

Moi je ne savais pas qu’il y avait tout ça derrière le mur.

Quand on entre il y a le coin cuisine, il y a le coin bar où l’on ne vend rien puisque tout est gratuit. A droite au dessus il y a la fresque avec la mer et le soleil. Les enfants la prennent en photo, ils voient tout de suite que c’est un vrai coucher de soleil.

C’est un lever de soleil aussi. Le matin.

Au dessus du coin cuisine à gauche il y a la mezzanine. La mezzanine elle a été construite pour les enfants et pour le chat. Ils sont là-haut, derrière le filet, ils guettent les adultes qui passent et ils leur jettent des kaplas dessus.

Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas plus de lieux comme ici. Des endroits qui mélangent de l’associatif, du solidaire, du festif, des logements, des espaces de création.

Quand on pense à tous ces espaces vides dans les bâtiments.

Écoute. Les murs, les filets, l’escalier rouge, ce sont des morceaux du bateau d’un pirate. On dit qu’il est venu d’Amérique avec les cales pleines de bois et de rêves. Il a démonté son bateau, c’était l’hiver. En hiver les bateaux hivernent. Ici le hangar était vide alors il a posé le bois contre les murs. Au bout de quelques mois les murs se sont emparés du cœur du vaisseau. Le pont, les espars, les haubans ont décidé qu’ils n’iraient pas plus loin. Le mât s’est amarré quelque part entre la scène et la cuisine. L’échelle s’est posée là. Les cabines sont devenues des ateliers. Le bateau est resté à quai. Mais quand tu écoutes bien si tu poses ta tête contre un mur tu peux entendre la mer glisser le long de la coque. Tu peux sentir les vibration du vent dans les mâts. Le pirate, on dit qu’il est parti. Il a compris que son vaisseau était bien, là, rue Merlet, quelque part dans Montreuil en Seine-Saint-Denis. Il reviendra peut-être.

Il est déjà revenu.

Et où il ira si le Vaisseau ferme?

Le Vaisseau ne fermera pas. Il s’envolera.

Mais les gens, l’esprit du lieu?

Les gens c’est toi, c’est nous, c’est eux. Tu restes à bord?

Auteur : Ana Ressouche