Il nous appelait les trois canailles. Maxence, Zoé et moi : les trois enfants aînés de ses trois enfants. Chaque année, nous débarquions quelques jours avant Noël, tout excités. Pour nous faire patienter, il organisait des parties de cache-cache dans la maison qui pourtant n’était pas bien grande. Cela faisait râler grand-mère, mais sous ses réprimandes, on voyait bien son sourire pointer et ses yeux pétiller du plaisir de nous voir.





C’est ma tante qui vit désormais dans la maison de notre enfance. Certaines choses ne changent pas, nous arrivons toujours quelques jours avant Noël et quand les trois canailles sont réunies, nous nous rendons chez nos grands-parents.

Les années ont passé, les grands-parents ont quitté la maison pour un appartement. Grand-père marche avec peine mais sa ténacité reste intacte. Chaque matin, il sort de l’appartement en déambulateur pour son  « footing » quotidien. Il remonte alors le long couloir de la résidence puis revient sur ses pas. Parfois, il fait deux allers et retours. Grand-mère, elle, s’affaire dans l’appartement, en grande organisatrice, toujours un peu râleuse, toujours en mouvement même si le tempo de son ballet s’est sérieusement ralenti. Cette année, nous avions le cœur lourd en prenant le chemin de l’appartement. C’était le premier noël sans grand-mère. Nous restions silencieux en chemin. Arrivés place de la Mairie, nous vîmes qu’une grande roue avait été installée. Maxence s’exclama :

« Mais, elle est minuscule cette grande roue ! »

« Elle est plus petite que la mairie ! » commenta à son tour Zoé.

Nous pouffâmes, nous avions besoin de rire et cette petite grande roue nous en offrait l’occasion. Arrivés chez grand-père, nous le trouvâmes assis dans son fauteuil, le déambulateur était relégué dans un coin, le vieil homme semblait tout ratatiné par la tristesse. L’absence de notre grand-mère l’accablait. Il était malgré tout content de nous voir.

« Tu sais qu’ils ont installé une grande roue sur la place de la mairie » lui dis-je.

« La plus petite des grandes roues ! » ironisa Zoé

« Ah bon » dit grand-père. Il n’était pas très causant. Après un moment, il ajouta « j’aimais bien ça… faire un tour de grande roue ». Son regard s’était illuminé tout d’un coup.

Il ne fallait pas le dire deux fois, une seconde nous suffit pour nous consulter du regard et nous mettre en action.

« Où est ton manteau Papi ? », demanda Zoé.

« Je prends le plaid, ajouta Maxence en joignant le geste à la parole, faudrait pas que tu attrapes froid ».

Docile, grand-père s’est laissé faire. Nous l’avons aidé à se lever et à s’installer dans le fauteuil roulant qu’il utilise désormais pour se déplacer. Il nous a demandé sa gapette, l’a vissée sur sa tête et nous sommes partis. En l’espace d’un instant, nous avions retrouvé notre enthousiasme d’enfant.

En chemin, grand-père raconta ses souvenirs. Grand-mère adorait cette attraction, il l’avait emmenée à celle du Jardin des Tuileries, et puis à celle de la foire du Trône à Nation avant que celle-ci ne déménage sur la pelouse de  Reuilly.

« Vous aviez raison les canailles, elle n’est pas bien grande cette grande roue ! » s’exclama grand-père quand nous arrivâmes sur la place Jean Jaurès. Après avoir payé nos places, nous avons avancé le fauteuil de grand-père jusqu’à la nacelle. Quand il fut installé bien au chaud sous le plaid, nous rangeâmes le fauteuil à côté de la caravane du forain.

« C’est parti » dit grand-père en souriant alors que la nacelle montait dans le ciel.

Nous avons ri et plaisanté pendant tout notre voyage. Nous ne voyions pas bien loin mais l’imagination était au rendez-vous.

« J’ai vu la Tour Eiffel » dit Zoé

« Et moi le Panthéon » ajouta Maxence.

« Regardez, on voit jusqu’en Amérique. J’aperçois la flamme de la Statue de la liberté » dit grand-père. Nous éclatâmes de rire.

En sortant du manège, grand-père avait les joues rosies par le froid et le plaisir.

« Maintenant direction le troquet, dit-il, c’est ma tournée ».

Quand nous l’avons ramené chez lui, grand-père était fatigué mais un peu moins ratatiné dans son fauteuil. Des étoiles brillaient dans ses yeux.

Chaque année, nous nous retrouvons Maxence, Zoé et moi à quelques jours de Noël. La petite grande roue est toujours là, elle semble nous attendre. Même si grand-père n’est plus là nous ne manquons jamais le rendez-vous. D’ailleurs maintenant, des petites canailles aussi turbulentes que nous l’étions à leur âge ne nous le permettraient pas.