Il y a des jours où il pleut même si l’on voit du bleu dans le ciel. Parfois il pleut et quelques minutes après il fait beau. Puis il re-pleut, puis il fait re-beau. C’était un de ces jours là. Dario venait de finir la série. Il avait regardé les sept saisons en un mois et demi. On lui avait conseillé. On lui avait dit  » Tu fais de la mob’, tu devrais regarder « Sons of Anarchy « . Il avait répondu « Nan« . L’autre avait répondu « Mais si, puisque je te le dis« . Il avait re-repondu « Nachave !!! » Et puis finalement il avait regardé. Il avait aimé le premier épisode. Alors il avait continué à regarder. Dans la caravane, il n’avait qu’une petite télé. Pour compenser la taille de l’image, il avait mis le son à fond pour qu’il entende bien le bruit des motos et les scènes de bagarre. Une fois le dernier épisode terminé, il prit la plus grande décision de sa vie.

Dario avait adoré cette série. Elle parlait de la vie d’un club de motards en Californie. Les motards avaient un garage de réparation de moto mais en fait c’était juste une couverture. Ils faisaient en vrai des trucs pas très légaux. Ils vendaient des armes et se bagarraient souvent avec des mexicains et des chinois. Entre autre. Il y avait un président et un vice-président. C’étaient eux qui décidaient. Parfois, ils se réunissaient tous autour d’une table et ils votaient pour savoir s’ils devaient faire telle ou telle chose. Une fois le vote fini, le président tapait avec un maillet sur la table pour dire que la décision était prise. Avec tous ces hommes en tenues de motards autour de la table ovale, Dario trouvait que ça ressemblait un peu au roi Dagobert et ses chevaliers de la table ronde. Mais il aimait bien.

Il se disait que, lui aussi, il pourrait créer son propre club de motards. Un « MC » comme ils disent dans la série (Motorcycle Club NDLR). Le club de la série, les « Sons of Anarchy » avait été créé dans les années 60 par des vétérans de la guerre du Vietnam. Mais, en vrai, il n’existe pas. C’est pour la série. Chaque membre du groupe porte un veste en cuir avec le nom du club dans le dos. Sur le devant, il y a un patch avec le grade. On peut être président, vice président, tueur ou encore expert en armement. Dario voulait être président. Il était le créateur du club. Il avait déjà une mobylette à lui. Enfin, à la base ce n’était pas vraiment à lui mais au final c’était devenu à lui. Comme il était le président, il devait faire le règlement du club.

Pour lui, c’était évident que les autres membres du club devait avoir une moto. Ou une mobylette. Il se disait que comme il avait  une mobylette et que c’était le président, un membre ne pouvait pas avoir une moto. Il décida que seules les mobylettes et les scooters étaient autorisés dans le club. Il fallait habiter dans la ville. Lui y était né et y avait toujours habité. Sa caravane y était stationnée depuis de nombreuses années pas très loin du parc des Beaumont, pas loin du cimetière. Elle n’était pas grande. On la reconnaissait à peine derrière les grilles vertes. Il décida dans un premier temps qu’elle serait le lieu des réunions de son club. Comme il n’y avait pas vraiment de place pour accueillir tout le monde dans la caravane, il se disait qu’il pourrait faire les réunions dehors. Il avait une grande table de salon de jardin en plastique blanc et pensait que cela ferait l’affaire. En tant que président, il devait prendre des décisions et donner des coups de maillet sur la table. Il ne voulait pas abîmer la table en plastique, surtout qu’elle appartenait à sa mère qui habitait juste à coté. Elle n’était pas commode. Il découpa alors un petit carré de mousse afin de ne pas faire de marques sur la table.

Pour être un club de motards, il fallait porter un signe distinctif. Dario décida de se rendre chez Emmaüs, Rue des Fédérés près de Robespierre. Il rentra dans la boutique et trouva quatre vieilles chemises en jeans. Il rentra dans sa caravane. Il déchira les manches. Il prit une feuille et des feutres. Il fallait trouver un logo pour son MC. Il pensait à un animal ou un truc dans le genre. Comme il ne savait pas bien dessiner il griffonna sur la feuille. Comme il trouvait que ça faisait des piques, il en conclut que ça pourrait être un « niglo ». Il se leva, regarda par le hublot de la caravane, puis il dit à voix haute « Niglo of Anarchy« .

Dés le lendemain, il se rendit chez Christelle, une amie à lui. C’était une institutrice à la retraite. Bien qu’un peu sourde, elle avait des talents de couturière. Après avoir sonné plusieurs fois à l’interphone, elle lui ouvrit enfin la porte. Il lui expliqua son projet. Il lui montra son dessin qu’il avait fini de colorier en rouge et noir. Elle le regarda attentivement. Elle lui demanda si elle pouvait le garder. Il n’en avait fait qu’un seul alors il sortit faire des photocopies. Il allait souvent à un taxiphone dans la petite rue menant à l’église. Il chevaucha sa mobylette et se gara devant la boutique. Une fois ses trois photocopies en poche, il repartit chez Christelle. Il la remercia chaleureusement pour sa participation à la création du club. Elle promit de lui montrer un prototype la semaine suivante.

Les jours suivants, il réfléchit à la façon de recruter les membres de son club. Il pensait faire des petits papiers avec son numéro de téléphone à découper comme il avait vu à la boulangerie. Mais il se disait que personne ne lisait vraiment ces petites annonces. Toutefois, il décida de déposer des annonces dans seulement  neufs boulangeries de la ville. Il regarda sur le site internet « Le Bon Coin » mais il ne vit rien d’intéressant. Finalement, il décida de faire appel à sa famille. Tout du moins celle qui habitait dans le coin. Il n’avait pas voulu leur demander tout de suite car il pensait que l’on allait se moquer de lui. Il souhaitait dans un premier temps que son club puisse faire parler de lui et devenir célèbre et respecté avant d’intégrer des membres de la famille. Toutefois il n’avait pas le temps d’attendre. Il envoya des invitations par texto à quelques cousins en leur expliquant son projet. Le rendez vous était fixé dans trois jours.

Le jour venu, seul son cousin, Gallo, était là. Il avait pourtant acheté trois packs de bières et des chips pour célébrer la naissance du club. Il était vraiment déçu. Comment pouvait-il créer un club de motards avec si peu de membres?  La nuit était tombée sur la rue Saint Just. Alors qu’il allait saluer son cousin sur le départ, un mobylette s’arrêta devant les grilles vertes. Un homme en descendit. D’un mouvement de botte rapide et assuré, il mit la béquille. Il se rapprocha de la grille. Il était assez grand et mince, vêtu de noir. On distinguait mal ses tatouages dans la rue mal éclairée. D’une voix puissante, il demanda: «  Lequel des deux est Dario ? » Les deux cousins se regardèrent. Un des deux prit alors la parole.

Fin de la partie 1