Il y en a du passage dans cette rue. Entre la place du marché et Gallieni, la zone parait désertique. Pourtant les entrepôts tristes se jouent des parties de pétanques et de football. C’est là bas que j’ai trouvé ma place. Derrière la vitre je regarde la vie s’écouler, je me sens comme un témoin privilégié des mouvements de cette ville et j’aime observer la vie des gens.

J’en ai côtoyé des gens. j’en ai connu des personnes. Les connaissons-nous réellement finalement ? Peut-être pas ? Peut-être que c’est mieux ainsi ? C’était mon métier, l’accueil des gens, écouter leurs problèmes. Il y en avait qui semblaient graves. Mais en fait pas vraiment. Alors que d’autres oui. Plusieurs fois je me suis moi même senti perdu face à la réelle gravité d’une situation.

Un jour, un lundi soir il me semble, ma machine à laver est tombée en panne. Elle ne fuyait pas, elle ne faisait pas de bruits bizarres. Elle refusait tout simplement de s’allumer. Il ne se passait rien. J’étais fâché devant cette absence de réponse. Le réparateur n’a pas pu m’en dire plus. La machine ne répondait pas à mes attentes et elle ne le fera plus jamais paraît-il. Décidément c’était très grave. Je devais trouver une solution.

Je n’aimais pas faire ça mais je me sentais bien obligé. Non loin de chez moi, je savais que je pouvais aller laver mon linge dans un endroit spécialement fait pour ça. La première fois, je ne me sentais pas très à l’aise. Je suis resté un moment dans le petit café qui fait l’angle avec mon panier de linge sale. J’aime bien y passer certains soirs d’été. On entend de la musique quand les gens sortent de l’ancien restaurant chinois. Mais ma curiosité ne m’a jamais poussé à y rentrer.

Un jour, j’ai franchi le pas et je me suis décidé. Non pas par envie mais par besoin. Je suis rentré. J’ai été agréablement surpris par le blanc des murs et la clarté lumineuse de l’endroit. J’ai balayé la salle du regard et celui-ci s’est posé sur un petit comptoir où était écrit la façon dont fonctionnait l’endroit. Ce que j’ai lu m’a rassuré. Seulement quatre étapes. Il fallait dans un premier temps sélectionner la température, puis mettre la lessive, puis entrer le numéro de la machine et enfin mettre les pièces. On place le linge dans la machine. Une fois ces étapes réalisées on gagne quelques minutes de liberté. On peut faire ce que l’on veut. Les gens qui ont conçu l’endroit ont même prévu des espaces où l’on peut s’asseoir. Finalement ce n’était pas si mal. Même si parfois on n’était pas tout seul, on avait juste à dire bonjour, on n’était pas obligé de dire plus. J’étais tellement ravi de cette première expérience que j’ai décidé de ne pas acheter une nouvelle machine à laver. J’étais content d’aller là bas et j’attendais impatiemment que le panier de linge soit rempli pour pouvoir le transporter jusqu’au paradis blanc. C’est le nom que j’ai donné à ce lieu.

J’allais tous les jours au travail. Je travaillais aussi le weekend car les gens sont disponibles pour venir me voir. Ils continuaient de me raconter leurs problèmes, les graves et les moins graves. J’étais vraiment lessivé à la fin de la journée. Je tenais à peine debout. les gens me trouvaient pâle, comme si j’avais perdu toutes mes couleurs. Au bout d’un moment mon travail ne me plaisait plus. J’en avais marre d’entendre leurs plaintes. En plus je ne pouvais pas vraiment faire grand chose pour eux. Je leur disais où ils devaient écrire ou bien là ils devaient aller pour que l’on puisse les aider.

Quoi qu’il en soit, j’avais toujours le paradis blanc. J’adorais y venir. Parfois même j’y venais en avance. Même s’il n’y pas vraiment d’horaires (à part le matin et le soir), je venais m’asseoir et j’attendais un certain temps avant de mettre une machine en route. J’observais les gens qui venaient ici. Il y en a de toutes sortes. Les gens viennent souvent laver des couettes car ça ne rentre pas dans la machine chez eux. La dernière fois, une maman est venue avec sa fille de 3 ans. J’ai entendu qu’elle parlait au téléphone du chat qui a fait pipi sur la couette en question et que c’était pénible. La petit fille à coté s’en fichait pas mal. Elle jouait à la poupée. A d’autres moments, j’observais des femmes qui venaient avec des grands sacs. Elles portaient des longues robes et des foulards sur la tête. Elles parlaient une langue que je ne connaissais pas. Elles devaient faire des blagues entre elles car elles rigolaient souvent. Quand elles ont sorti le linge de la machine, j’ai reconnu plein d’habits d’enfants, de tout les âges. Certains vêtements avaient l’air assez usés mais comme les dames qui étaient ici ne les jetaient pas et les lavaient encore, j’en ai déduit qu’elles ne devaient pas avoir beaucoup d’argent. C’était également la cas de certaines grandes dames qui portaient leur enfant dans le dos en plus des sacs entiers de linges. J’étais très admiratif de leur courage. Parfois des jeunes passaient aussi le soir ou le weekend. Ils sont généralement moins chargés. Ils n’ont plus l’air d’enfants mais ne sont pas encore des adultes avec un travail, comme le mien. Généralement ils passent en coup de vent. Ils jettent leur linge dans la machine et repartent aussitôt. Ils ont souvent l’air pressé. Quand ils sont de retour et que la machine n’est pas finie, ils s’assoient quelques minutes et se plongent dans leur téléphone.

Contrairement à eux tous, j’aime venir ici. Ce n’est pas une corvée. Je vois la vie à travers la vitre,  entouré du parfum rassurant des adoucissants. Une certaine chaleur apaisante s’échappait des sèches linges. Des lieux comme ici sont vraiment utiles. Les machines servent à quelques choses, contrairement à moi qui n’avait pas l’impression d’aider les gens. Non seulement je ne les aidais pas mais en plus je me sentais totalement rincé à force d’entendre leurs malheurs.

Un après midi, une dame est rentrée avec son sac de linge. je l’ai vu arriver de loin car j’ai toujours le front posé contre la vitre. Elle voulait laver son linge mais il n’y avait pas de machines libres. J’ai trouvé cela totalement injuste et cruel. J’ai réfléchi et j’ai pris la décision de me rendre utile pour de bon. Cette situation était tellement inacceptable.

D’après mes estimations, cela devait me prendre une semaine. À peu de choses près je ne m’étais pas trompé. D’abord des cadrans sont apparus sur mon front. Des indication sur des températures, des cycles, des matières. En voyant cela devant ma glace, j’ai décidé de ne plus aller travailler. Je voulais vraiment me consacrer sur ma nouvelle mission. Les jours suivants, je suis devenu plus métallique, blanc, carré et froid. Lorsqu’une porte arrondie est apparue sur mon ventre, j’ai senti que je touchais enfin mon but. Je suis allé au paradis blanc très tôt le matin. Par chance il n’y avait personne. C’était là ma place. La place où je pouvais être utile et rendre les gens heureux. Je me suis attribué un numéro et je me suis assis à la suite des autres machines. Depuis je n’ai plus jamais bougé d’ici et je n’ai jamais regretté mon choix.