Oscillations

J’ai la chance d’habiter le bas Montreuil entre un quartier animé côté rue de Paris – que j’évite – et les petites rues menant par l’arrière au centre-ville ou vers Saint-Mandé et Vincennes.

Pour les raisons que nous connaissons tous, les rues sont quasi vides et c’est tant mieux.

Mais il arrive qu’entre passants l’on se croise, chacun s’écartant de l’autre, descendant du trottoir, voire le traversant.

Cela peut être par suspicion, mais j’aime à croire que c’est par bienveillance, en tout cas cela l’est pour moi.

Mis à part les rares personnes testées ou celles qui sont sur un lit d’hôpital entre la vie et la mort ou celles encore en quarantaine, nous sommes tous susceptibles, à des degrés divers, d’être porteur sain ou d’avoir la forme bénigne de ce virus épouvantable. La plupart du temps ces circonvolutions sur trottoirs s’accompagnent d’un sourire, voire d’un bonjour lorsque l’on est à quelques mètres, oui, même avec des inconnus.

Ce qui sépare parfois relie.

Entre suspicion et union, oscillation.

Suspicion de danger, union dans une même galère. Qui ne se surprend pas à retenir sa respiration lors d’un croisement un peu trop proche ?

Si la peur n’écarte pas le danger, la prudence, elle, si.

Prudence et bienveillance, bon sens et civisme.

Si cette terrible épreuve pouvait encrer ces principes de base du bien vivre ensemble en chaque humain, nous ferions un grand pas ! Car au-delà du combat contre ce fléau, ne serait-il pas temps que chacun revoie un peu ses valeurs ?

Un repli sur soi pour, lorsqu’il en sera temps, sortir de sa coquille plus éveillé et plus présent.

La présence à chaque instant qui nous est offert. En conscience et en confiance, confiance en son coeur.

Ai-je tort de mettre encore le nez dans les fleurs qui dépassent des jardinets ?

A t-on le droit de sourire « pour rien », juste pour la vie, juste pour saluer le printemps, ne serait-ce que lors des quelques minutes qu’il nous est permis de passer dehors ? Va-t-on être verbalisé si l’on à l’air heureux ?

J’ai dit l’air, non je ne me sens pas heureuse, mais je m’y emploie.

Le sourire ouvre le coeur, calme les angoisses, exercice pas si simple en temps « normal » en ces jours troublés ce n’est pas chose aisée.

Anxieuse de nature vous imaginez ….

Oscillations.

Oscillation entre espoir et désespoir. Oscillation entre confiance et méfiance.

Oscillations à en avoir le tournis.

Pour se recentrer encore faut-il trouver le chemin vers le centre !

Le centre de nous-même, le coeur, là où tout est calme.

Comment retrouver le calme intérieur si on ne l’a jamais connu ?

Cela se travaille, cela s’explore.

Pour ma part lorsqu’enfin mon mental fait silence, je perçois ce calme intérieur.

Là où tout est douceur.

Lorsque c’est panique à bord, je tente – rarement avec succès mais je m’y emploie – de retrouver ce chemin, le chemin du coeur.

Oscillations.

Et si l’espoir était que lorsque nous serons sortis de cette période où il est naturel d’être angoissé, j’accepte d’être en paix sans angoisses injustifiées ?

Oscillation entre rage et admiration.

Rage envers ceux qui ne pensent qu’à eux, si stupides qu’ils ne se rendent pas compte, que si ils sont susceptibles d’infecter les autres, ils sont tout autant susceptibles de l’être.

Admiration pour tous les élans solidaires.

Rage envers un gouvernement qui tergiverse, qui réfléchit, se réunit cent fois pour prendre une décision, alors que l’urgence est dépassée depuis longtemps.

Admiration pour tout le corps médical qui se donne sans compter, toutes ces personnes qui le composent sont en première ligne.

Comme il a été question de guerre, où personnellement j’aurais préféré le mot lutte, ils sont au front.

J’aime pas la guerre, mais imaginons un instant : donneraient-ils des cuillères en plastiques, des tapettes à mouches ou des éponges en lieu et place de fusils aux soldats ?

Non, n’est-ce pas ?

Anticiper, prévoir ne serait-ce pas le rôle d’un état ?

La bombe atomique on l’a parce qu’ «on sait jamais », mais du matériel médical c’est secondaire.

Pas de danger que ceux qui nous gouvernent passent vingt heures sur un brancard aux urgences ….

Oscillations.

J’aimerais ne pas me laisser aller à cette colère, n’être que poésie pour repousser la frayeur qui par moment me tord le bide, mais je suis ainsi…

Si de toute mon âme je crois en la paix possible – celle du dedans comme celle du dehors – si de tout mon coeur je crois en la possibilité de l’ouverture d’esprit des bornés – oui tout est changement – cela ne m’empêche pas de voir en parallèle le chaos.

Mon esprit parfois se fracasse aux parois de mon mental, petit égo humain au contrôle si puissant.

Pourquoi est-ce si difficile de lâcher prise ?

Car lorsqu’on y pense en termes pratiques, il est plus facile de laisser tomber au sol une charge lourde – plus lourde que soi-même – que de la porter jusqu’à l’épuisement. Un monde entre la théorie et la pratique n’est-il pas ?

Oscillations.

J’inspire, j’expire, j’inspire, j’expire et lorsque l’angoisse bloque mon souffle je recommence.

Mes fins de journées ressemblent à des terreurs nocturnes enfantines, angoisses qui surviennent sans crier gare, mais que je laisse me quitter après l’orage passé.

Car en fait, seuls nous, avons le pouvoir de tourner notre attention vers ce qui nous détend, nous apaise.

Oscillations.

J’écris « je », j’écris « nous », ce n’est pas là exercice de style je ne suis pas écrivain. Parfois ce moi ne me plaît pas, parfois ce nous me rend perplexe.

Mais tout est mieux que « eux », j’entend par là qu’il n’y a pas juste soi d’un côté et le reste du monde de l’autre. Tous les « je » forment un grand « nous » et chacun faisons partie du « grand tout ».

Et si ma plume a des à-coups et si mon esprit vagabonde et si j’en dis trop ou pas assez, je me l’autorise car au moins j’aurais osé la prendre cette plume !

Oscillations.

Pleurer, sourire, méfiance, confiance ….

Si être esclave de ses émotions est usant et dommage, avoir des émotions c’est être en vie.

Alors oui : je suis en vie !

Aimer la vie sans conditions est sans doute la seule forme de respect que nous puissions avoir envers elle.

Osciller oui, mais le coeur et les yeux grand-ouverts !