Lorsqu’il fait froid le soir à Trois Communes, les passants marchent vite. La journée, le rond point est assez animé. Les lampes de la pharmacie se reflètent sur le trottoir mouillé. Les lueurs vertes mélangées aux phares des voitures imitent mal les aurores boréales. Après tout, nous sommes bien dans le nord de la ville. La sandwicherie ferme tard, la petite épicerie aussi d’ailleurs. Pas très loin de là, on entend des sirènes en direction de l’Interco. Il y a toujours beaucoup de voitures aux heures de sortie de bureau. C’est un passage vers Romainville et les Lilas, des villes qui verront bientôt le métro, parait il. Quoi qu’il en soit c’était à Trois Communes que j’habitais et voilà ce qui s’est passé en partie ce jour-là.

Quand on n’a pas de voiture comme moi, et quand on n’est pas à l’aise sur un vélo, il ne nous reste que le bus pour se déplacer. Surtout quand on habite aussi loin du métro. J’avais paramétré l’application sur mon téléphone afin de savoir exactement à quelle heure allait passer le prochain bus. Comment faire sinon ? Attendre dans le froid ? Pas question ! En plus le rond point est souvent bruyant et beaucoup de voitures sont souvent mal garées et empêchent les bus de passer. Le matin je mets peu de temps à me préparer. je prends souvent une douche le soir. Je prépare mes affaires sur une chaise. Il y a bien longtemps que j’avais renoncé à me maquiller.

J’ai toujours eu horreur de voir les gens mettre leurs encombrants sur les trottoirs. Ça traîne des jours entiers le long des maisons. J’avais fait plusieurs courriers à la mairie sans jamais avoir eu de réponse. Un matin, comme la plupart du temps, j’étais sortie dès que mon application m’indiqua le passage du bus dans 1 min. Pour aller où ? Je ne sais plus. Sauf qu’encore une fois, un malade, sûrement très pressé, s’était mal garé et gênait le passage du bus. C’était un concert de klaxons assez désagréable. Je voulais m’asseoir à l’arrêt de bus mais il y avait du monde. Je suis alors restée debout à attendre le bus à quelques mètres de l’arrêt. Mon regard se baladait sur le trottoir mouillé. Puis il s’est arrêté sur un grand miroir posé contre un mur. Intriguée je me suis approchée. Il était cassé et fissuré au centre comme si quelqu’un l’avait frappé avec un marteau.

Le miroir était assez haut mais pas très large. J’y voyais mon reflet morcelé. J’ai remarqué que des fissures aléatoires du miroir isolaient certains objets que je portais. Dans une forme rappelant vaguement un losange, mon regard s’arrêta sur la bague que je portais à la main gauche. Ma mère m’avait offert cette bague. Durant toute sa vie, elle avait exercé le métier d’enseignante à l’école élémentaire Fabien. C’était à deux pas de chez nous à l’époque. Cela n’a pas été facile pour elle d’arrêter de travailler après toutes ces années auprès des enfants. Désormais elle profite de sa retraite. Ma mère m’avait offert cette bague en revenant d’un voyage en Inde. C’est un bijou très simple mais j’y tiens beaucoup. Je ne m’en sépare jamais.

En continuant de balayer le miroir des yeux, mon regard se posa ensuite sur un badge. Je me rappelle avoir souri en voyant le lettrage à l’envers. C’était un badge que j’avais acheté à la Maison de Femmes dans la rue piétonne à coté de l’église. J’y allais souvent, quand il y a des expositions, des conférences ou simplement comme bénévole. Ma mère m’a toujours encouragée à m’investir dans des associations. C’est d’après elle ce qui permet aux gens de se sentir utiles et surtout de ne pas se sentir seuls. Elle a une force incroyable. Ce badge solidement accroché au col de ma veste ne me quitte jamais. Même encore aujourd’hui.

Mon regard se posa alors sur une autre partie du miroir. Le foulard malien que je portais autour du cou ne me quittait jamais lui non plus. Il m’avait été offert lors d’un échange culturel. Souvent, quand j’allais au marché, on m’interpellait sur ce foulard aux motifs traditionnels que je portais autour du cou et non sur les cheveux. On me faisait souvent remarquer que je ne le portais pas comme il fallait. La plupart du temps cela me faisait rire. Certains jours plutôt moins.

Une grande partie de mon visage se reflétait dans un morceau du miroir. J’ai fixé longuement mon visage. Parfois on fait les choses un peu machinalement. Je ne me souvenais plus avoir mis ce matin là ces boucles d’oreilles. Cela faisait longtemps que je ne les avais pas mises. Pourtant je me rappelais le jour on me les avait offertes. C’était il y a bien des années. J’avais organisé une fête pour mon anniversaire chez des amis. Mon appartement était trop petit alors ils m’avaient prêté le leur. C’était mon cadeau, ces boucles d’oreilles. Elles venaient de cette boutique de créateurs avec ce nom imprononçable. Je les aime beaucoup mais comme j’avais peur de les perdre, je ne les portais  que rarement. J’avais failli les perdre lors de cette soirée. Le cousin de mon amie était de passage en France. Sans faire exprès il avait fait tomber les boucles d’oreilles sous le canapé. Il était tellement gêné. C’est lui qui a réussi à les retrouver. Il s’était excusé une bonne partie de la soirée après cela. On avait sympathisé par la suite. Il vivait au Québec et devait repartir le lendemain. Il revenait chaque année à cette période de l’année. Devant le miroir, j’ai pensé qu’il était peut être en France à ce moment là.

Après avoir envoyé un texto à mon amie, elle m’a répondu amusée que son cousin était bien là pendant quelques semaines et qu’il avait même demandé de mes nouvelles. Je me rappelle avoir  souri sur le trottoir lorsqu’elle me proposa de passer chez elle pour prendre un thé avec eux. Je n’ai pas eu besoin d’un temps de réflexion. Elle habitait à Robespierre. C’était à 40 minutes de marche, mais ce n’était pas grave, je n’avais plus le temps d’attendre le bus. J’ai fait le trajet en 30 min si je me souviens bien.

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Ici à Montréal, il fait très froid. Mais je m’y suis habituée au fil des hivers…..