Au moment de se coucher, Jean Loup scrutait toujours son smartphone tranquillement allongé dans son lit. Il avait mis dans un dossier à part toutes les applications qu’il consultait le plus souvent et cela plusieurs fois par jour. Il n’avait qu’à faire un mouvement de pouce pour les ouvrir et ainsi faire ses recherches. La plupart du temps, il y avait un objet qui lui donnait envie et il faisait tout pour l’acquérir. Une fois le précieux objet à la maison, il réfléchissait à un autre objet qui important d’avoir. Parfois, aucun objet ne semblait lui manquer et cela l’inquiétait beaucoup. Il passait ses journées à réfléchir à ce qu’il pourrait acheter. Généralement au bout de deux jours, il trouvait quelque chose de particulièrement indispensable. Et ainsi la chasse à l’objet pouvait reprendre.
De son cinquième étage, il avait une vue dégagée sur Mozinor et, plus loin sur la droite, la mairie et les bâtiments administratifs. En bas de son immeuble il pouvait garer son scooter. Il le plaçait toujours en direction de la sortie au cas il devait filer en vitesse pour une vente. Habitant la Boissière, il avait à proximité plusieurs axes routiers intéressants, que ce soit l’A86, l’A3 ou encore le périphérique. C’était parfait pour se rendre chez les vendeurs.

Jean Loup n’avait pas vraiment d’âge. Cela devait être à cause de sa moustache. On ne savait pas non plus quelleétait sa profession mais on savait qu’il gardait une petite somme par mois pour ses précieux achats. Jean Loup était courtois, surtout quand le vendeur répondait que le produit est disponible. Là, il sentait monter l’adrénaline. Son application préférée restait « Le Bon Coin ». Elle était facile et pratique. Il lui arrivait souvent de contacter des vendeurs tard le soir. S’ils ne répondaient pas aux mails et aux textos, il lui arrivait de les appeler directement. Afin de ne pas trop les déranger, il leur laissait toujours quelques minutes pour répondre. C’est uniquement ensuite qu’il les appelait. Il lui arrivait de leur laisser un message sur le répondeur s’ils ne répondaient pas au bout de la troisième ou quatrième fois. Parfois cela fonctionnait. Il avait ainsi pu acheter une montre connectée à Robespierre, une manette de jeu boulevard Stalingrad et une pédale de distorsion « comme neuve » vers la Noue.

Ces derniers jours, il n’avait rien trouvé à acheter. Il n’avait envie de rien. Ou plutôt il n’avait pas trouvé un besoin à combler. Il chercha longuement et après avoir arpenté son salon dans tous les sens. Il décida de s’acheter de nouvelles étagères afin de pouvoir, pourquoi pas, acheter encore plus de nouveaux objets. Comme il aimait particulièrement les meubles en chêne massif, il prit son smartphone et fit une recherche sur l’île de France.

Il passa de longues minutes à scruter chaque annonce dans l’espoir d’en trouver une intéressante. Au bout d’un certain temps, ses yeux s’arrêtèrent sur une annonce assez cocasse. Il toucha l’écran avec son index afin d’en savoir plus. Il prit le temps de lire le descriptif.

 

Une fois en bas de la page, il s’arrêta quelques instants pour réfléchir. Il paraissait troublé, comme fasciné par cet objet. D’un côté, il trouvait cela tellement de mauvais goût d’avoir ce genre de chose à son domicile. Plus encore d’en faire une étagère. Et d’un autre coté, il trouvait cela vraiment original. Il prit un temps de réflexion puis envoya un texto à l’acheteur.

Bonjour, votre « cercueil étagère » est-il toujours disponible ?

Bonjour, oui bien sûr. Vous pouvez venir le voir, voir l’essayer (- ;

Ok donnez-moi votre adresse svp

Rue de la Demi Lune…

Jean Loup habitait vraiment à coté mais il décida d’emprunter tout de même le monospace de ses parents. Il se rendit chez l’acheteur. Il regarda à peine le bien et paya le plus rapidement possible. Il chargea sa nouvelle acquisition et attendit la nuit avant de rentrer chez lui pour ne pas croiser la vieille commère du rez-de-chaussée. Une fois l’objet posé debout contre le mur du salon, il ferma la porte de sa chambre et partit se coucher.
Pendant plusieurs jours, voir plusieurs semaines, Jean Loup évita soigneusement de regarder la boîte en chêne. Il savait qu’il avait besoin de place pour accueillir de nouveaux objets d’occasion et une nouvelle étagère aurait été parfaite pour ça. Pourtant il ne parvenait pas à s’en approcher. Au bout d’un moment, il arrêta d’acheter des objets. Puis, il arrêta d’en chercher de nouveaux.

L’été était déjà là. Comme tous les ans, Jean Loup avait planifié ses vacances depuis longtemps. Il était d’humeur maussade depuis plusieurs jours et la perspective de partir en vacances lui donnait un peu de réconfort. Il se disait qu’il pourrait se ressourcer, partir loin de chez lui et comme cela, il s’apercevrait bien que des choses lui manqueraient, que ce soient des choses qu’il avait déjà ou encore mieux des choses dont il pourrait avoir besoin.
Les jours passèrent et Jean Loup ne manquait de rien. Il passait du temps sur la plage en T-shirt à scruter l’horizon à la recherche ne serait-ce qu’un truc qui le ferait vibrer. Le dernier jour des vacances il n’avait rien. Il ne trouva rien non plus dans le taxi qui le ramenait dans le « haut ».
Demain c’était lundi. Demain c’était le mois de septembre et c’était le jour du retour au travail. Il s’essaya sur une chaise, face à l’objet en bois. Il le regarda longuement. Il réfléchit pendant de longues minutes. Il était déçu de lui-même. Il n’avait trouvé aucun objet à acheter qui lui faisait envie, même totalement inutile.

Il devait se rendre à l’évidence. Il hocha la tête après être resté immobile un bon moment. Il sortit, alla saluer ses parents qui habitaient non loin. Avant de partir, il prit les clés du monospace. Une fois chez lui, il chargea la grande boîte dans le coffre. Il passa prendre un outil à la cave. Une fois arrivé au Parc des Beaumonts qu’il aimait tant, il trouva un endroit plutôt calme à l’écart. Avec sa pelle à neige, il creusa un grand trou. Il descendit le cercueil au fond.
Il sauta à son tour et s’allongea de manière confortable. « A quoi ça sert de travailler, maintenant ? » dit il à voix haute avant de fermer le couvercle.

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