Emilien Gobard

Émilien Gobard reprend à Montreuil ses Essais, où il entre de tout son corps dans les Essais de Montaigne. Performeur-caméléon virtuose, il mime, il chante, il danse, il cogite sous nos yeux. On rit (beaucoup), on s’étonne, on digresse avec lui. Au bout d’un certain temps, le vertige nous gagne : qui parle ? Qui dit « je » ? Est-ce le Sieur de Montaigne ? Est-ce Émilien Gobard ? On ne sait plus très bien : les limites sont floues, les Essais sont ouverts, on les traverse de part en part en sautant allègrement d’un sujet à l’autre. L’acteur connaît son Montaigne sur le bout des doigts de pieds. Il nous ballade comme s’il nous emmenait en visite guidée chez un vieil ami, en ne s’interdisant pas de changer complètement la promenade d’une fois sur l’autre : le spectacle n’est jamais le même !

Tant mieux : on peut y retourner plusieurs fois de suite sans jamais s’ennuyer. Et ça tombe bien, il reste beaucoup de dates. Dans le cadre de son Montaigne Montreuil Tour, Émilien le montreuillois joue ses Essais une à deux fois par mois, à Montreuil, dans toutes sortes de salles. Théâtres, librairies, ateliers d’artistes, jardins partagés… vous ne pouvez pas le manquer !

Prochaines dates :

– le 5 novembre 2019 au théâtre Berthelot

– le 12 décembre 2019 au centre Tignous d’art contemporain

Entretien avec Émilien

Emilien Gobard

Émilien, peux-tu raconter ta rencontre avec les Essais de Montaigne ?

J’avais 20 ans et j’étais brancardier de nuit à l’hôpital Bégin quand j’ai lu les Essais pour la première fois. Je lisais entre deux cadavres à transporter à la morgue. J’ai adoré.

Et donc c’est là que tu as eu l’idée d’en faire un spectacle théâtral.

Pas du tout. Pour moi, les Essais, c’était de la philo et donc ce n’était pas adapté à la scène. Je suis acteur mais avant tout, ma formation c’est le mime. Je voulais faire un spectacle solo de mime, tout public. Je voulais que ce soit un auteur connu, et qu’il y ait une dimension historique parce que l’histoire c’est un peu mon hobby. J’ai lu plein de trucs qui ne me parlaient pas : Saint-Simon, Chateaubriand… Ensuite j’ai laissé tomber le côté historique du projet. J’ai essayé de lire les Métamorphoses d’Ovide, le livre m’est tombé des mains. Je me suis souvenu que, dans les Essais, Montaigne expliquait pourquoi il aimait les Métamorphoses. J’ai donc rouvert les Essais, et là ça a été la révélation. Je suis tombé sur des phrases comme « Je ne peins pas l’être, je peins le passage » ou « Vous avez donné ceci à la lumière, donnez ceci à l’ombre » qui parlaient très précisément du travail de mime et d’acteur…

Et tu t’es lancé. Tu n’avais pas peur de faire un truc trop philosophique et pas très accessible?

Aucun risque. Quand j’ai commencé le travail, je ne parlais même pas du tout de philosophie. J’ai attaqué Montaigne par l’anecdotique, par le trivial. Les Essais, c’est ça : plein d’anecdotes, de petites histoires. C’est pour ça que ça me parle. C’est un mec qui raconte sa vie, qui passe du coq à l’âne, qui déconne… Cela ne fait qu’un an ou deux que j’aborde quelque passages qui parlent de choses un peu plus profondes.

Oui, parce que donc, le spectacle a évolué.

Depuis le début, c’est un spectacle qui évolue. Je n’ai jamais fait deux fois la même chose. Pour chaque représentation, j’apprends quelques nouveaux passages. Mais après, je laisse venir. Je brode, je danse, je digresse, je raconte des anecdotes personnelles. Sans vraiment préparer ce que je vais dire, ce que je vais faire : il faut que ça reste fluide. « A saut et à gambades », comme il dit. Joyeux et imprévisible.

Chaque représentation est un événement unique.

Exactement. A chaque fois, c’est une rencontre unique avec un lieu et un public différent, Montaigne, mais pas toujours les mêmes textes, et moi. Tant que je suis spontané et sincère, je suis fidèle à Montaigne, et ça ne peut que fonctionner. C’est très important pour moi de ne pas le trahir, d’autant que si je le trahissais il n’hésiterait pas à sortir de sa tombe pour venir me hanter. Il l’a écrit.

Donc cela fait dix ans que tu joues ce spectacle, mais c’est toujours un nouveau spectacle. Et cette année, tu t’es lancé le défi de le jouer très régulièrement, à Montreuil ?

Cette année, j’ai l’âge où Montaigne a décidé de s’enfermer dans sa tour et où il a commencé l’écriture des Essais. Alors depuis quelques mois, je me suis lancé dans une tournée de voisinage, à Montreuil, dans ma ville. Je joue un peu partout où l’on veut bien de moi, dans des théâtres, dans des ateliers d’artistes, dans des librairies, devant des publics tous petits ou un peu plus nombreux…

Du coup, si on habite Montreuil, on peut en profiter pour voir plusieurs fois le spectacle ?

Franchement, oui. Je peux garantir que ce ne sera jamais la même chose.

Et après ? Tu vas jouer éternellement Montaigne à Montreuil ? Tu as d’autres projet ?

Dans le cas de Montaigne, au bout d’un an et demi, il est sorti de sa tour et il a fait un tour d’Europe. Ça me plairait bien, une tournée européenne jusqu’en Italie sur les traces de Montaigne. Je réfléchis à faire ça à vélo…

Et sinon, en ce moment je joue aussi dans un projet de la compagnie de la Lanterne qui sera donné au théâtre Berthelot, le 16 janvier. Cela s’appelle L’Origine – Expérimentation de l’étonnement et c’est une adaptation du Banquet de Platon. C’est très drôle et c’est tout public. Il faut venir le voir, que vous aimiez ou non la philo, et que vous parliez ou non français. Je m’y exprime en grec ancien. Autant dire que mon travail de mime m’est vraiment utile !

Facebook d’Emilien Gobard

Entretien d’Ana Ressouche