A deux pas de la place du marché de la Croix de Chavaux, un homme se tenait debout devant la porte du restaurant à la façade bleue. Sur la vitre, on pouvait lire en grosses lettres « Al Pincio ». L’homme grand et mince avait le regard dans le vide, comme aspiré dans ses pensées. Sous ses cheveux frisés ses yeux balayaient le sol de gauche à droite puis de droite à gauche. En s’approchant de lui, on pouvait entendre des bribes de phrases en italien. Chaque année, à la fin du mois de mai, c’était la même chose: il était d’humeur morose, un mélange de nostalgie et de regrets. Mais, cette année, il allait tenter quelque chose. Il n’en avait parlé à personne bien sûr. A part Bobby. Bobby avait des tuyaux. Il savait que c’était possible car il l’avait lu sur internet. Ou alors c’était dans un film.

Les beaux jours étaient de retour sur la ville. Les gens sortaient et les bars étaient pleins. Au bar Al Pincio, la fameuse « Piadina » faisait des ravages. Un crêpe italienne avec, au choix, jambon, fromages et légumes frais. La terrasse intérieure et ses Dj sets et concerts variés attiraient le monde. Fabrizio tenait à ce que son bar soit accueillant et proposait des produits italiens évidemment de qualité.

Toutefois, au fond de lui, il avait toujours en tête ce souvenir désagréable. Même 27 ans après.

Bobby disait qu’il fallait aller assez vite. Donc il fallait trouver une ligne droite. La rue de Paris ferait l’affaire. Il suffisait d’attendre que la nuit soit tombée pour éviter la circulation. Fabrizio avait une vieille Fiat PUNTO. Il avait demandé à Bobby si cela pouvait suffire. Bobby avait dit de ne pas s’en faire. Il faut toujours se fier à ce que dit Bobby.

Il restait à fabriquer un  convecteur temporel. Et pour ça, Fabrizio avait décidé d’organiser une soirée marathon spéciale « Retour vers le futur » dans la petite salle du fond. Les trois films allaient être projetés à la suite sur le vidéo projecteur. Lors de cette projection, la petite salle était remplie de quarantenaires, le sourire aux lèvres, faisant comme s’ils découvraient les films pour la première fois.

Fabrizio était très occupé à servir les nombreux clients du bar. Toutefois, dès qu’il avait quelques minutes, il en profitait pour prendre quelques notes en écoutant « Doc » parler. Une fois la soirée terminée, il fit quelques captures d’écran. Les soirs suivants, on le vit plusieurs fois à proximité du domicile de Bobby. Durant plusieurs semaines, Fabrizio travailla bien après son service dans la petite cour au fond de son restaurant. Il poussait les tables et sortait ses outils.

Un soir, très tard, Fabrizio réussit enfin à achever la construction de son convecteur temporel. Il l’installa de suite dans sa vieille Fiat Punto. Tout semblait prêt. « Domani… Domani » dit alors Fabrizio en serrant les poings.

Le lendemain, les minutes semblaient durer des heures. Fabrizio regardait sa montre toutes les dix minutes, ce que les clients habituels remarquèrent. Toutefois, il ne leur parla pas de son projet.

« Il est minuit, on ferme ». Fabrizio mit les derniers clients dehors en un temps record. Il salua ses employés et leur dit qu’ils pouvaient partir car « il finira de ranger tout seul ».

Une fois tout terminé, il était déjà une heure et demi du matin. La rue de Paris devait être calme à cette heure-ci.

Il monta dans sa Fiat Punto et prit la direction de l’entrée du périphérique. Il fit le tour du rond point et commença à s’élancer sur la rue de Paris. Il roula tranquillement au début car, vers Robespierre, les gens traversent la rue n’importe comment. Une fois arrivé au niveau de la station service, il rentra la date et le lieu d’arrivée :

« Stade Olympique de Munich, le 26 mai 1993 »

Il accéléra au maximum, toute la voiture commença à trembler. Il devait atteindre une certaine vitesse pour que ça marche. Il jeta des regards sur son compteur avec inquiétude. Heureusement pour lui, la rue était déserte. Il passa plusieurs feux tricolores avec succès. Devant les « Tatas Flingueuses », Fabrizio commença à s’inquiéter car sa vitesse n’était toujours pas suffisante. Il appuya alors de toute ses forces sur l’accélérateur. Il savait qu’il allait arriver au rond point de Croix de Chavaux et qu’il n’allait pas avoir le temps de freiner. Il poussa un grand cri dans la voiture: « Forza Milano ». Par miracle, juste avant la pharmacie, la voiture se transforma en une boule de feu avant de disparaitre en laissant deux longues flammes au milieu du rond point.

Fabrizio mit quelques secondes à comprendre qu’il avait réussi. Il roulait maintenant sur une autoroute en direction du stade de Munich. Tout semblait bien se passer. Mais il se rappela qu’il n’était possible de choisir son heure d’arrivée. Il regarda sa montre, le match était commencé depuis une trentaine de minutes !!!

Le 26 mai 1993 avait lieu à Munich la finale de la Coupe de la Ligue des Champions entre Marseille et le Milan AC, dont Fabrizio est un grand supporter. Depuis des semaines, il avait pour projet d’informer l’entraineur du déroulement du match et ainsi éviter la défaite.

Fabrizio savait quand Marseille allait marquer le seul but du match. Peut-être il n’était pas trop tard. En arrivant au stade, il se gara comme il put. Il courut en direction de l’entrée et profita que le service de sécurité du stade fût occupé à suivre le match à la radio pour prendre la direction des tribunes. Une fois en haut, il avait une vue dégagée sur le stade. Il regarda sur le tableau d’affichage. C’était la 44ème minute.

Corner pour Marseille. Fabrizio savait ce qu’il allait se passer. Il hurla de toutes ses forces « Attention au corner !!! Attention à Boli !!! Il va marquer de la tête !!!! ». Les gens dans les gradins pensaient qu’il était fou. Mais quelques secondes après, Boli marqua l’unique but de la tête et Marseille entra dans l’histoire.

Fabrizio était désespéré. Tant d’efforts pour échouer si prêt du but. Il n’eut pas le cœur de regarder la fin du match. Déçu, il descendit des tribunes et reprit sa voiture. Sur l’autoroute, il accéléra jusqu’à devenir une boule de feu et atterrit au milieu de la rue de Paris qu’il avait quitté quelques heures auparavant. Il gara sa voiture à proximité du marché. Une fois revenu dans son bar, il prit une grand café en regardant le soleil se lever.

Ce même jour, Fabrizio prit la direction de la déchèterie située Pierre de Montreuil. Devant la barrière de l’entrée, un employé municipal vint lui demander: « Bonjour, c’est pour déposer quel type de déchet? »

Fabrizio répondit « c’est un convecteur temporel »

L’employé municipal le regarda d’un air étonné, puis il ajouta « un convecteur temporel, ça doit être de la ferraille. Troisième benne à droite !!! »