Tout a commencé il y a quelques années, par un coup de main donné au voisin. Depuis ce jour-là, ma vie a changé, imperceptiblement d’abord puis tout cela a pris beaucoup de place dans tous les sens du terme.

Revenons au début. Un soir, je rentrais chez moi et croisai Claude, le voisin. Il déchargeait sa camionnette.
« Tu as 5 minutes Jérémy ? » me demanda-t-il. « J’aurais besoin d’un peu d’aide pour sortir cette table et la mettre dans mon garage. Seul c’est un peu compliqué ».
« Ok » répondis-je en jetant un œil dans la camionnette. J’y aperçus un meuble en piteux état. Je devais avoir l’air perplexe car Claude ajouta immédiatement : « Je l’ai ramassée au Bel Air. Demain, il y a les encombrants alors les gens se débarrassent de ce dont ils ne veulent plus. Je vais la retaper ».
Je l’aidai à sortir la table. A la lumière du jour, elle paraissait encore plus délabrée : un pied plus court que les autres, le plateau tout taché et rayé. Une fois la table posée à côté de l’établi dans le garage du voisin, je rentrai chez moi.

Quelques jours plus tard, je passais devant chez Claude. La porte du garage était ouverte. Il était en train de poncer la table sauvée des encombrants.
« Bonjour Claude, ça avance on dirait ? » lançai-je en passant la tête dans l’encadrure de la porte.
« Oui, je crois que je vais couper les pieds pour en faire une table basse ».
J’entrai dans le garage pour observer d’un peu plus près. La partie poncée de la table avait meilleure allure : les taches et rayures avaient disparu. Je passai la main dessus : plus aucune aspérité.
« Et après qu’est-ce que tu vas faire ? »
« La peindre ou la vernir, je n’ai pas encore décidé »
« Je peux essayer ? Demandai-je en désignant la ponceuse.
« Vas-y »
C’est à ce moment-là, exactement, que tout a commencé. J’ai posé mon sac. Je ne sais plus ce que je devais faire ce jour-là, mais peu importe, je n’y suis pas allé. Avec Claude, nous avons terminé de poncer le plateau, puis nous avons coupé les pieds de la table et les avons eux-aussi poncés.

Jusque-là, quand quelque-chose ne fonctionnait plus, voire ne me plaisait plus, je le remplaçais sans penser qu’il y avait peut-être d’autres manières de faire.
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » me dit Claude pendant que nous appliquions le vernis. Depuis lors, cette phrase – que le sens commun attribue plutôt à Lavoisier même si pour moi elle est de Claude – m’est restée dans la tête et résonne en moi.

Une nuit, rentrant chez moi à pied, je passai à coté d’un tas de meubles attendant d’être ramassé le lendemain par les encombrants. Je fis une halte : un fauteuil éventré, de vieilles planches, un meuble en kit…. Rien de bien intéressant jusqu’à ce que mon regard se pose sur une table de nuit ancienne, comme celle qu’il y avait chez ma grand-mère, avec un plateau en marbre sur le dessus. Elle avait besoin d’être rénovée mais, à part la porte qui ne tenait plus, elle semblait en bon état. Je la pris.
Le lendemain, je croisai Claude et lui parlai de ma trouvaille.
« Que vas-tu en faire ?, me demanda-t-il. Tu veux un coup de main ? »
Je ne savais pas trop comment m’y prendre, j’acceptais avec enthousiasme. Nous avons passé l’après-midi suivant à retaper la table de nuit. Claude aimait bricoler et c’était un bon professeur.

Cela a continué ainsi. Quand l’un de nous récupérait un meuble, il prévenait l’autre et nous nous retrouvions dans le garage de Claude pour le rénover ensemble. Les meubles qui avaient retrouvé une seconde jeunesse commençaient à s’accumuler dans le garage. J’eus l’idée de les mettre en vente sur internet. Claude était partant. Ces meubles ne nous avaient pas coûté grand-chose alors leur prix serait modeste. Ils partirent en peu de temps.
Avec ce succès, un projet a peu à peu fait jour. Jusque-là, je n’avais exercé que des jobs alimentaires qui me permettaient de payer les factures, mais à l’intérêt limité. Je prenais plaisir à ces heures de bricolage et à voir la transformation des meubles. Les odeurs de sciure et de vernis du garage de Claude m’étaient familières. Il m’était de plus en plus insupportable de me rendre à mon vrai travail. Ce qui était un loisir pourrait-il se transformer en une activité assez lucrative pour en vivre ?

J’évoquai un jour cette idée. Claude était enthousiaste et prêt à m’aider à me lancer dans ce projet. Il a mis sa retraite de coté en somme. Nous avons construit ce projet ensemble.
Il y avait beaucoup de choses à prendre en considération. Il ne s’agissait plus de récupérer des meubles au petit bonheur la chance. Nous avons défini une tournée des encombrants. La ville est répartie en 11 secteurs dont l’un est desservi deux fois, cela fait donc 12 tournées mensuelles. La camionnette de Claude en a fait des tours, elle connaît les moindres recoins de la ville.
Il aurait été trop coûteux de prendre un local sans savoir si l’activité serait viable.Nous avons donc réorganisé le garage de Claude : un espace pour le gros œuvre décapage, ponçage ; un autre espace pour les finitions et enfin un espace consacré aux meubles en kits. Pour ces derniers, au début c’était un vrai casse-tête. Nous avions décidé de ramasser les meubles démontés pour être déposés aux encombrants et de les tester pour pouvoir ensuite les revendre après restauration. Avec la pratique, nous sommes devenus imbattables mais il y en a eu des prises de tête en l’absence des notices.

Voilà, ça a démarré ainsi et, si nous sommes ici aujourd’hui, c’est que cette nouvelle activité s’est avérée fructueuse. Nous avons pu envisager de trouver un local. Il y a un an, je suis tombé sur une annonce pour ce local, avec un studio attenant, l’idéal. Pas très loin de la Croix de Chavaux et de la mairie, comme cela les gens peuvent facilement venir faire un tour à l’atelier voir les meubles restaurés, et assez grand pour entreposer les outils et les meubles en cours de rénovation. Claude a repris en grande partie sa vie de retraité depuis quelques mois, même s’il lui arrive de m’accompagner dans les tournées ou de venir bricoler ici. C’est toujours un plaisir.

Et pourquoi avoir appelé votre atelier « deux fois rien » ?

C’est un clin d’œil à la devise de Claude ? D’ailleurs, elle figure en sous-titre sur la pancarte que vous avez photographiée tout à l’heure. Quand paraîtra l’article ?

Il devrait être publié sur le blog la semaine prochaine.