Episode 2 : Joseph

            D’aussi loin qu’il s’en souvienne, Joseph Félin avait toujours su qu’il serait taxidermiste. A la sortie de l’école, il filait à l’atelier de son grand-père, place Carnot. Il y passait de longs moments les jeudis et pendant les vacances, à moins que ses copains ne viennent le chercher pour jouer au foot sur la place ou faire une virée dans les bois tout proches.

Petit, il observait avec fascination les gestes de son grand-père. La vue des animaux morts et leur dépeçage ne le rebutaient pas. Au fur et à mesure qu’il grandissait, il s’était vu confier de petites tâches si bien qu’avant même d’avoir de la moustache, Joseph connaissait toutes les étapes de naturalisation. Son avenir était tracé, après l’école il passa un CAP de taxidermie à Meaux et quand vint l’heure de succéder à son grand-père, Joseph exerçait son art avec talent. Il redonnait une apparence étonnamment vivante aux animaux morts qui lui étaient confiés. Pour tous, il était Jo l’empailleur et bénéficiait de la réputation de son grand-père. Toutefois, moins regardant sur l’origine des bêtes, il avait étendu sa clientèle et vivait moins chichement que son aïeul. Il avait ainsi pu s’acheter une voiture et redonner un coup de neuf à l’atelier. Dans le quartier, les gens jasaient et s’interrogeaient : d’où pouvait bien venir la lucrativité soudaine de l’atelier ? Des rumeurs circulaient mais Joseph ne s’en souciait guère. Il n’avait rien contre les trophées de chasse et animaux de compagnie qui avaient constitué le fond de commerce de son grand-père mais il ne rechignait pas devant la naturalisation d’un animal plus exotique, qu’importe sa provenance. Cela diversifiait son activité, et l’illégalité de la tâche lui conférait un piquant incomparable.

Il lui fallait toutefois rester discret. Pour se faire, il avait aménagé un coin  au fond de son atelier, à l’abri des regards des curieux.

Un jour, un homme se gara sur la place et entra chez Joseph après un rapide coup d’œil aux alentours.

« Vous êtes Jo l’empailleur ? », lui demanda-t-il. Joseph répondit d’un hochement de tête.

« J’aurai une mission à vous confier » ajouta l’homme en scrutant l’atelier afin de s’assurer qu’ils étaient seuls.

C’est ainsi que Joseph rencontra Émile – homme de confiance d’un entrepreneur fortuné – venu mettre en œuvre la dernière fantaisie de son patron. Ce qu’Émile proposa ce jour-là paraissait à la fois absurde et périlleux. Il fournirait toute la logistique nécessaire à l’opération. Joseph – qui n’était qu’un des protagonistes – se rendait bien compte de l’extravagance du projet, des risques encourus mais il sentait également en lui une envie irrésistible d’accepter l’offre d’Émile.

Les deux hommes convinrent de se revoir la semaine suivante. Joseph avait besoin d’un temps de réflexion. Après le départ d’Émile, il décida de faire un tour au zoo de Vincennes, histoire de se faire sa propre idée sur place.

Joseph se gara sur l’avenue Daumesnil qui longeait le zoo. Les guichets étaient  plus loin mais, avant de pénétrer dans le zoo, il  souhaitait en observer l’enceinte, les sorties de secours et recueillir les informations nécessaires pour évaluer la faisabilité du projet d’Émile. Il examinait le mur quand une jeune femme qui passait à son niveau lui indiqua : « l’entrée est plus loin ».

Joseph, perdu dans ses pensée,s grogna plus qu’il ne répondit. La jeune femme continua son chemin.  Il la regarda s’éloigner, elle était jolie. Aussi, quand elle se retourna et que son regard croisa le sien, il lui proposa de l’accompagner dans sa visite ce que la jeune femme, prénommée Hortense, accepta bien qu’elle sembla un peu étonnée de ce changement soudain d’attitude.

Joignant l’utile à l’agréable, Joseph arpenta les allées du zoo en compagnie d’Hortense continuant à observer attentivement les systèmes de sécurité, le personnel du zoo… A nouveau, il pensa que le projet d’Émile était surréaliste, puis il laissa de côté ses réflexions pour se consacrer à  la jeune femme dont il apprit qu’elle était étudiante à l’école vétérinaire de Maison Alfort.  Quand vint l’heure de se séparer à la fermeture du zoo, Joseph proposa à Hortense de venir visiter son atelier le samedi suivant.

Dans la semaine qui suivit, Joseph passa du temps à étudier le projet d’Émile et quand celui-ci se présenta de nouveau dans son atelier, il accepta sa proposition en posant une condition. En effet, Joseph ne souhaitait pas courir le risque que son atelier leur serve de base. Il ne voulait pas éveiller des soupçons supplémentaires quant à ses pratiques. Il avait repéré sur l’avenue Gabriel Péri des locaux de boucherie situés dans une cour à l’arrière d’un immeuble. C’était idéal, à l’abri des allées et venues de la rue, et pas trop loin de chez lui pour qu’il puisse s’y rendre facilement. Émile se chargea de louer les locaux et c’est là qu’ils se retrouvaient désormais pour peaufiner leur plan. L’équipe se composait de 4 personnes : Joseph, Émile auxquels s’ajoutaient Gaspard et Léon respectivement chauffeur et ancien joueur de rugby reconverti. Gaspard avait une camionnette qui leur permettrait de transporter leur « victime ». Amateur de boxe, il n’était pas bien grand mais assez costaud. Léon avait la carrure et la gueule cassée des rugbymen. Imposant par la taille, il n’invitait guère à la bagarre. La force de ces deux-là ne serait pas de trop pour mener à bien l’opération.

Dans les mois qui suivirent leur première rencontre, la petite équipe se retrouva régulièrement dans les locaux proches de la Croix de Chavaux. Ils avaient acheminé tout le matériel nécessaire et programmé l’opération dans les moindres détails. Joseph partageait ainsi son temps entre ses amis du quartier, son atelier, la bande d’Émile et Hortense dont il s’était beaucoup rapproché au point qu’en juin, quand celle-ci dû abandonner l’école vétérinaire, Joseph lui proposa de partager sa vie et son activité et l’épousa. Les fiançailles furent courtes, à l’automne Hortense Félin emménagea chez Joseph. Elle ne savait rien des projets obscurs de son époux, l’opération était fixée à la Saint Saturnin.