En cas de fort vent, le sable s’engouffre dans les courants d’air de la station de métro. On voit souvent des employés municipaux s’atteler à balayer les marches afin d’éviter les chutes des passagers. Le marchand de glace sur la grande place sait se protéger des bourrasques de vent. Une grande bâche transparente le protège du sable et des embruns les jours de tempête. Heureusement, une digue protège les entrées du métro et plus particulièrement la bibliothèque. Toutefois, les nouveaux magasins pourraient être inondés dans le futur avec la montée du niveau de la mer. Tout le monde le savait bien: les architectes, le maire et même les promoteurs immobiliers. Quelle ville au monde peut se vanter d’avoir une station de métro donnant directement sur la plage ?

Sur la grande avenue menant à la mer, les boutiques de souvenirs côtoient les magasins d’accessoires de plage. Les jeunes parents passent acheter des pelles et des seaux pour les enfants. Des serviettes de plage sans âge aux couleurs délavées par le soleil s’ennuient dans des vitrines. Les bus circulent à un rythme régulier. Les passants circulent à pied ou en vélo. Il y a souvent la queue à la Poste. Les samedis soirs, de la musique s’échappe du café rouge et jaune.

On les a souvent croisé ici.

Après les tumultes et la fièvre des grandes vacances, la ville respire un peu plus. C’est la fin des grosses chaleurs, de la foule venue brûler pour le reste de l’année et des au revoir des couples adolescents qui se promettent de s’écrire. Septembre est la saison des travailleurs qui peuvent choisir librement leurs congés annuels et des retraités. Une autre ambiance plane sur la ville. Le temps est comme ralenti, les discussions au restaurant se font plus discrètes. Voyager en bus devient respirable. En Octobre, les promeneurs se font plus rares. Surtout les jours de grands vents et de pluie. Pourtant on est sûr de les trouver là bas à cette période de l’année. Surtout à marée basse.

Quand la mer est loin, ils marchent avec tout leur barda jusqu’au bord de l’eau. Avec les années, leurs forces leur font un peu défaut. Le plus souvent, ils sont obligés de faire deux voyages pour décharger leur voiture. D’un pas lourd et décidé, ils parcourent les centaines de mètres entre la mer et le parking. Une fois arrivés, ils déplient leurs chaises  et plantent leur parasol dans le sable humide. Comme souvent en octobre, le vent souffle sur la plage quasi déserte. Comme souvent, il pleut des gouttes fines et malicieuses. Déjà les beaux jours ne sont plus qu’un souvenir.

La lumière étrange de la saison donne une certaine clarté au sable en le colorant en jaune vif. Le ciel propose plusieurs nuances de gris allant du désespéré au nostalgique. En dessous des étoiles, le vent continu change sans cesse le décor et laisse parfois transpercer des rayons du soleil qui viennent mourir dans la mer. La fine pluie semble être guidée par la seule volonté du vent. Parfois verticale, parfois en biais elle inonde de larmes la plage qui s’étend à perte de vue. Certains jours, on ne parvient même plus à voir la mairie de la plage. Il s’en dégage alors un sentiment de bien être et d’isolement. Quel bonheur lorsque la mer devient le seul repère dans ce spectacle brumeux et glacial.

Ils étaient maintenant bien installés. Elle, assise toujours à gauche de son mari, lisait un livre dont on ne distinguait pas la couverture. Régulièrement, elle fixait l’horizon pendant de longues minutes. Parfois un sourire se dessinait sur son visage. Puis elle reprenait tranquillement sa lecture. Elle avait mis une couverture sur ses genoux pour ne pas avoir froid. Elle portait un pull en laine qu’elle semblait avoir tricoté il y a plusieurs années. On devinait des grands yeux bleus derrière ses lunettes posées sur le bout de son nez. Ses cheveux mi longs et bouclés étaient devenus gris depuis des années mais elle ne s’en inquiétait pas.

Lui est assis sur une chaise de salon de jardin. Après avoir enfoncé le parasol solidement, il sortit l’huma de son sac. Il portait des chaussures de travail et un pantalon bleu. Sa redingote noire était attachée jusqu’à son écharpe à carreaux. Sa casquette était solidement enfoncée sur sa tête. Sur la poche de sa veste il avait gardé le badge qu’il portait lors des luttes pour que l’usine « Krema » ne soit pas délocalisée. Il en gardait un terrible souvenir même plus de 25 ans après car lui et ses camarades n’avaient pas eu gain de cause. Toutefois, c’était là-bas qu’ils s’étaient rencontrés, bien avant la fermeture. Depuis leur départ en retraite, ils venaient régulièrement profiter de la plage.

La plage était quasiment déserte en ce lundi d’octobre. Au loin on semblait entendre un chien qui aboyait puis le silence du vent qui venai vous hurler dans les oreilles. Quand le ciel se libérait brièvement, on apercevait le grand phare au bout de la jetée au loin. Puis il retournait se cacher dès que le vent lui ordonnait.

Tout semblait paisible aujourd’hui sur la plage. Alors que la pluie semblait redoubler, elle délaissa quelques instants son livre et le posa sur la table. Elle regarda autour d’elle. Elle respiraprofondément comme pour mieux sentir les éléments. Elle se tourna alors vers lui et lui tendit la main. Il détourna alors les yeux de son journal et saisit la sienne. Elle le regarda et lui sourit. Il sourit à son tour. Sans lâcher la main de l’autre, chacun reprit sa lecture.