Montreuil, mercredi 18 juin 2031

Cher Vincent,

Comment vas tu ? Je ne sais plus depuis combien de temps tu as quitté ton appart au métro « La Dhuys ». Je me permets de t’écrire à la manière d’autrefois. Tu vas peut-être me trouver un peu « vieux jeu » mais j’aimais le temps où les gens s’envoyaient des mails. Ces choses là ne se font plus aujourd’hui avec les nouvelles technologies qui nous rendent la vie plus facile. Je tenais à te donner quelques nouvelles et j’espère en recevoir en retour. Peut-être n’utilises-tu plus internet ? Si c’est le cas tu ne pourras jamais lire ce mail. Tant pis, je jette tout de même cette bouteille à la mer.

Ici la vie suit son cours. L’été tarde à arriver malgré un fort taux de participation lors du vote météorologique de décembre dernier. Comme chaque année, la fête de la ville se déroule à Montreau. Je me rappelle quand, enfants, nous attendions ce jour avec impatience. Je me souviens de cette fameuse année où le temps était vraiment exécrable, nous étions revenus trempés chez tes parents. Nous avions eu la permission de sortir à la condition d’envoyer un « texto ».  Je ne me rappelle plus l’année exacte. Peut-être était-ce l’année de l’EURO en France remportée par l’Irlande du Nord ? Peu importe. Adolescents, nous ne manquions cette fête pour rien au monde. Je me rappelle que nous n’aimions pas ce parc à cause des pentes difficiles  en vélo. Nous allions rarement plus loin que le terrain de foot. Le musée de l’Histoire Vivante existe toujours. Je ne sais plus si nous y étions allés avec tes parents ou avec l’école. Après tout ce n’est pas si important.

Si je t’écris, c’est aussi parce que j’ai retrouvé dans un carton mon vieil iPhone 4. Tu le trouvais déjà vieux à l’époque mais je l’ai utilisé pendant 6 ans, ce qui, de nos jours, représente une éternité. Il restait dans mon téléphone quelques photos que je souhaitais t’envoyer en « pièces jointes ». Certaines d’entre elles m’ont fait sourire et m’ont rappelé le temps où tout le monde se prenait pour un photographe. Je te laisse juger par toi même.

Sur une d’elle, mal cadrée et floue, j’avais essayé de prendre « le château de Noël » comme tu l’appelais. On trouvait ça plutôt beau à l’époque. On devait être en CM1 au Bel Air. J’ai toujours trouvé curieuse cette idée de mettre une guirlande sur un château d’eau. En même temps c’était la période où le quartier se transformait. Il n’avait pas encore le rayonnement international qu’il a maintenant. Et dire qu’il a fallu raser quasiment l’intégralité des Beaumonts. Un comble pour une ancienne municipalité écologiste. Depuis, le lycée horticole tourne à plein régime afin que l’on puisse de nouveau rajouter « sous bois » à notre adresse. On l’a retiré il y a plus de 20 ans pour se démarquer et maintenant on fait tout pour le retrouver.

Ma seule photo réussie est celle prise de la maison de quartier. Le temps glacial a fait ressortir ces tonalités de rouge vif. Je me rappelle ma surprise face à ces nouveaux bâtiments neufs et colorés. Dans mes souvenirs il y en avait un vert aussi. On passait souvent devant pour aller au stade d’athlétisme. Te rappelles-tu de ces mardis matins de courses d’endurance et autres lancés du javelot à se déboîter l’épaule ? Je me souviens surtout de la tête des surveillants du bac quand on leur disait que l’on venait du lycée Passe Partout de Tillemont. Qu’est ce que nous avions ri ce jour là.

A l’époque où Facebook n’était pas encore un parti politique mais un réseau  social, la mode était souvent aux photos de nuit un peu « arty ». La mienne est sympa. Tu la reconnaîtras. Je l’avais prise sur mon scooter en revenant de la soirée pour tes 26 ans. Comme tu pourras le constater elle est également floue. Mais je l’aime bien. Elle a été prise pas très loin de la maison pop. J’y ai pris des cours de guitare une année, à cause ou grâce à ta sœur, c’est selon. Ce que l’on peut dire c’est que les résultats n’ont rien donné, que ce soit mon niveau à la guitare ou ne serait-ce qu’un regard d’elle. En même temps, qui, de nos jours, peut se vanter de pouvoir jouer l’intro de « Come as you are » sur un instrument réel ? Nous sommes une poignée.

Enfin, ce qui est le plus drôle avec la dernière photo c’est que je ne me souviens plus si je l’ai prise exprès ou si c’est une erreur de manipulation. Ou bien un coup de chance. Nous fêtions ton départ au Mange Disc puis nous avions raccompagné ta sœur au métro. Je me rappelle ne pas marcher très droit. On voulait prendre un sandwich indien sur la route. J’ai failli rouler devant l’église car je me suis cogné contre l’immonde massif fleuri au milieu. En descendant vers la mairie nous avions coupé par le cinéma. J’avais voulu impressionner ta sœur en la jouant « photo effet de nuit » mais j’ai glissé dans le massif. Qu’est ce que tu as pu te moquer de moi ! Je me souviens du bruit des fleurs et des rires du groupe d’adolescents qui sortaient du Mac Donald’s (quand c’était encore légal).

Comme tu le sais, c’est depuis ce jour que ta sœur et moi nous nous sommes peu à peu rapprochés. Tu connais la suite. D’ailleurs elle vient de passer dans mon bureau et te donne le bonjour. J’ai lu dans ses yeux la tristesse de ne pas te voir plus souvent. Passe nous voir. Les enfants parlent de toi. Tu seras toujours le bienvenu ici.

A bientôt mon ami

Sacha


Bel air

bel air

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