Avant la représentation

Ce qui étonne, en arrivant au Théâtre Municipal Berthelot – Jean Guerrin, c’est la variété des visages, des profils parmi les spectateurs en attente de leur sésame d’entrée. Je fréquente assidûment les salles de spectacles, une à deux fois par semaine en moyenne, à Paris, Montreuil ou ailleurs. Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas vu une telle diversité et ça fait du bien. Le théâtre ne doit pas s’adresser à une seule frange de la population. Les salles de théâtre doivent également s’employer à attirer des publics qui n’en ont pas forcément le goût, l’idée ni parfois les moyens. Le théâtre peut être exigeant et accessible, intelligent et divertissant.

L’événement est d’importance, puisque nous allons assister à « Montreuil’s Original Soundtrack » (« La Bande Originale de Montreuil » en bon français). Ce projet, porté par la compagnie Fictions Collectives, réunit huit jeunes des Hauts de Montreuil, âgés de 15 à 24 ans. Pendant six mois, ces personnes ont appris à se connaître, se sont racontés à travers les musiques de leur vie, des mélodies qu’ils ont choisies, parfois subies, mais qui ont toutes une histoire. Et surtout ils en ont profité pour créer un collectif.

Le spectacle affiche complet, la représentation est unique, on nous demande d’éteindre nos téléphones portables, ça commence…

Pendant la représentation

Photo de répétition
Crédit photo : Gaëlle Astier-Perret

La semaine dernière, j’ai vu un spectacle à Marseille qui utilisait des musiques de David Bowie. Je m’étais gentiment plaint de ce cliché du théâtre contemporain (Nina Simone peut à l’occasion remplacer le chanteur anglais).

Ce soir, le spectacle démarre par « Ashes to ashes » de… David Bowie. Une comédienne s’avance vers nous, le rideau est encore fermé, elle s’assoit par terre, les jambes en tailleur. Par l’intermédiaire d’un mini haut-parleur, la voix de David Bowie retentit. La jeune femme nous observe tout en roulant une cigarette. Elle prend son temps. J’admire son aplomb. La lumière n’a pas été éteinte dans le public, elle nous voit. Elle nous observe en train de l’observer.

Je ne vais pas détailler l’intégralité du spectacle : il fallait être là, tant pis pour vous. Mais tour à tour, nous allons voir, entendre des jeunes gens qui vont se raconter, toujours avec une petite musique dans la tête : de la musique du logo Disney aux chansons de Beyonce, en passant par des références à Radiohead, PNL, Christophe ou Aretha Franklin… Ce fut très éclectique ! Une musique qui, finalement, s’avèrera secondaire, puisque c’est la vie qui prend le dessus.

Nous avons à faire à un théâtre documentaire, de témoignage, mais qui n’oublie pas d’être du théâtre. Nous avons face à nous des vrais personnages. Et c’est ça qui fait le charme de ce genre d’entreprise : oui, ces jeunes gens jouent leur propre rôle, mais quand on est sur scène, il y a ce petit pas de côté qui est toujours intéressant : « C’est moi, mais pas tout à fait moi. » (je travaille un peu sur la question en ce moment…)  Puis les petites imperfections, les maladresses sont tout de suite excusées. On sent que tout le monde n’est pas complètement à l’aise sur une scène, mais c’est pas grave.

Leurs petites ou grandes histoires touchent, parce qu’on y parle de la naissance du sentiment amoureux, de religion, de famille, de disparition, de rupture amoureuse, de migration, d’identité… Même si on a désormais l’âge d’être leurs parents et qu’on n’a pas grandi à Montreuil… (oui, j’ai pris un coup de vieux quand une des protagonistes a dit que son père écoutait Radiohead…), on se reconnait.

Il faut dire aussi qu’ils sont particulièrement mis en valeur par la mise en scène de Marie Mortier (tout est réfléchi, répété mais le geste parait tout de même spontané) et la création sonore de Charlotte Bozzi. La bande sonore est loin d’être un empilement de chansons, les musiques sont montées, distordues. Un gros travail corporel a été aussi effectué. Comme me disait une certaine professeure  de théâtre : « Un acteur, c’est avant tout un corps. »

Les lumières s’éteignent et nous entendons un des acteurs dire : « C’est déjà terminé ? ».

Après la représentation

« C’est déjà terminé ? » C’est exactement la question que je me suis posé à la fin de la représentation. On aurait voulu que cela dure plus longtemps. On sort quelque peu frustré (même si c’est de la bonne frustration, il vaut mieux cela au fameux commentaire « Il y a un quart d’heure en trop ! »).

Saluts avec les comédien.nes et les membres de la compagnie Fictions Collectives
Crédit photo : Axel Decanis

Un ami avec qui j’ai fait du théâtre il y a quelques années m’accompagnait et nous avons longuement discuté de ce que nous avions vu (et vécu) lors de cette soirée à Berthelot (je me suis quelque peu inspiré de nos discussions pour écrire cet article, je l’avoue). Et ce n’est pas si fréquent de discuter d’une œuvre, sans avoir besoin de retourner immédiatement sur son téléphone portable ou parler d’autre chose.

Pour reprendre ce que j’ai écrit plus haut, nous avons assisté à une représentation théâtrale fougueuse, pleine de sens, de qualité, exigeante, mais accessible et surtout qui fait un bien fou. Le théâtre, c’est aussi ça !

On a beaucoup aimé cette bande vraiment originale. (et on regrette vraiment que cela ne se joue qu’une seule fois…)

Montreuil’s Original Soundtrack, ce samedi 22 février 2020 au Théâtre Municipal Berthelot – Jean Guerrin

Une production de la Compagnie Fictions Collectives

Avec Fahartadji Ahmed, Sébastien Bentinck, Amel Couperie, Aminah Gueye, Papa Saliou Gueye, Lou Lesouef, Macire Traore, Anissa Zriou
Mise en scène Marie Mortier
Collaboration artistique Sarah Rees – Conception sonore Charlotte Bozzi – Création lumières Anne Palomeres – Production Elise Dammarez – Médiation Mélodie Maréchal – Photographie Gaëlle Astier-Perret