Assise dans un café en face de la mairie, je l’attendais – Johnny. Je connaissais déjà son visage, placardé depuis quelques temps par le photographe Jean Fabien dans les rues de la ville. Et puis, la notoriété du groupe n’est plus à prouver à Montreuil. Johnny Montreuil fait bien partie du paysage. Je le voyais grand gaillard, un peu cowboy. Bref, j’étais intimidée. Il est arrivé avec un grand sourire, a commandé son café, et l’interview a commencé, tout simplement. Simple, voilà le mot qui le décrit si bien – Benoît. Simple derrière ses rouflaquettes, son gros manteau en peau retournée et chaussé de ses fameuses « tiags ». J’ai rencontré un homme au grand cœur, qui a pris le temps de répondre à mes questions. On a eu un vrai moment de partage dans un café, comme il aime les offrir depuis maintenant quatre ans avec ses groupes de musique.

Johnny Montreuil

D’où viens-tu Johnny, et comment es-tu arrivé à Montreuil ?

J’ai grandi en banlieue sud, au Petit Clamart. Puis j’ai bougé de là, d’un endroit où il ne se passait pas grand-chose, en cherchant à faire de la musique, à jouer dans des cafés vers Châtillon, Montparnasse. J’ai voyagé au Canada, en Irlande, j’ai vécu une année à Rennes et une année à Toulouse. A 25 ans je suis revenu à Paris et j’ai commencé à faire de la musique dans le 11e, là où ma sœur habitait déjà. J’ai écumé les petits bars, d’autres bars, on a monté un groupe, et puis on a commencé à jouer en dehors de Paris, avec un tourneur. Ce groupe c’était les Princes Chameaux, et l’aventure a continué jusqu’en 2010.

En 2005 je débarque à Montreuil, dans des colocs, un peu par hasard. J’ai fait beaucoup de rencontres avec des musiciens, des joueurs de fanfares. J’ai découvert des lieux qui accueillent les musiciens à bras ouverts et invitent à jouer chez eux. J’ai aussi pas mal fréquenté les bars kabyles. Bref, Je me suis senti tout de suite à l’aise. Avec la musique j’ai la chance de bouger pas mal, mais Montreuil reste mon port d’attache.

Cette culture de proximité, des bars, nous a permis de rencontrer beaucoup de personnes ici, entre Montreuil, Bagnolet, jusqu’aux Lilas : le triangle d’or ! Je joue avec Johnny Montreuil, Aälma Dili, tous ces projets cousins dans cette veine rock’n’roll. Pour moi ce que qui est important, c’est d’arriver dans les cafés, n’importe où d’ailleurs, de brancher l’ampli et de jouer. Ça permet de passer des soirées fantastiques, de rencontrer les gens, d’être en proximité. C’est d’ailleurs comme ça qu’on a rencontré le photographe Jean-Fabien, qui a fait les photos de notre album.

Ce que j’ai retrouvé à Montreuil, c’est avant tout le tissu social, où je me sens à l’aise avec ma caravane. Je me sens bien au quotidien et je peux apporter ce qu’il faut en énergie dans mes groupes de musique. Je suis bien dans mes pompes.

La ville de Montreuil a-t-elle été une sorte de déclic pour toi ?

Montreuil a été un heureux hasard, c’était presque écrit. Ça s’est fait tout seul, rapidement. J’ai retrouvé la banlieue, la banlieue où il se passe quelque chose. Enormément de gens qui se croisent, toutes les ethnies.  Il a un grand respect, une bienveillance entre les jeunes et les anciens qui existe depuis des décennies. Chacun trouve sa place, personne n’écrase l’autre. Par rapport à d’autres coins frontaliers, il a quand même une énergie bien plus sympa ici !

Et quels sont les coins que tu préfères dans la ville ?

Avant les concerts, on se donne souvent rendez-vous à l’Escale à Montreuil. On les connait, on peut aller jouer quand on veut. Ça fait partie des petits bars sympathiques qui ne payent pas de mine comme ça mais où les gens aiment aller prendre l’apéro, tout simplement. Il y a le café près de chez moi aux Grands Pêchers, chez Nini, où je retrouve Blackie mon pote qui me donne mon courrier. Il y a aussi les Monédières ici à la Croix de Chavaux, la Table à Jaja, le bar des Sports. Ce sont des lieux que je connais depuis des années. Si je peux recommander quelque chose, ce serait d’aller se balader dans ce coin-là, et de s’arrêter selon ses envies. Moi c’est ça qui me plaît, c’est d’avoir le choix et de profiter de ce mélange-là.

Il y a un côté village dans la ville aussi très agréable. C’est assez grand pour profiter d’un minimum d’anonymat mais il y a quand même cette proximité qui permet de croiser très souvent des potes ou des connaissances dans la rue.

Et en parlant d’anonymat, les gens te reconnaissent maintenant dans les rues ?

Certaine fois à cause de Jean-Fabien qui a mis nos gueules sur les murs (rires) ! Enfoiré ! Mais il n’y a pas que ça. Ça fait maintenant quatre ans que l’on joue ici, que l’on se montre. Bien sûr le travail de Jean Fabien a aidé, et ces photos ont également servi son travail, suite à la sortie du bouquin Good Morning Montreuil, dans lequel j’ai d’ailleurs écrit un petit texte.

Johnny Montreuil 2

Est-ce une fierté, pour le groupe, que de venir de Montreuil ?

Ça nous fait marrer, oui on en est fiers. Après on n’est pas là pour faire une campagne de pub pour la ville (rires) ! Mais le nom est assez second degré, comique. Johnny Montreuil, on ne peut pas être sérieux avec un nom comme ça !

Comment est né le personnage de Johnny Montreuil ?

Au départ je l’ai créé tout seul en adaptant des morceaux de Johnny Cash. Je me suis dit : « Johnny Montreuil, ce serait chanmé comme nom de groupe ! ». Ensuite j’ai branché Géronimo, le violoniste, pour venir jouer de son violon tzigane sur ces morceaux country. Et puis c’est lui qui a commencé à m’appeler Johnny, et on s’est pris au jeu. J’ai mis mes tiags et puis en avant ! Pour se marrer, pour identifier le groupe aussi, pour que ça prenne quoi, qu’on pense à nous. On avait envie, envie de jouer, d’en découdre !

Il y a trois ans en 2012, j’ai répondu à une annonce de la ville de Montreuil pour représenter la ville aux Francofolies. Ça a été vraiment le début de l’aventure. On a joué le morceau « Johnny Montreuil », ils ont fait un article, et quelque chose s’est passé à ce moment-là. En haut sur le site où est installé ma caravane on a commencé à organiser des festivals. Le personnage s’est vite adapté au décors naturel où j’habitais et inversement.

Mais du coup aujourd’hui tu es Johnny ? Benoît ?

Johnny c’est un personnage artistique. Je trouve ça marrant. II y a de moi bien sûr dans ce personnage et inversement, quand je suis là-haut dans ma caravane, douché à l’eau froide, en plein air avec mes tiags, il y a un peu de Johnny Montreuil ! (rires). Mais ça reste un nom de scène. Ça permet d’être plus relax avec tout ça. C’est un nom emprunté rigolo, un peu ringard. C’est une bonne trouvaille !

Tu dis souvent que tu fais de la musique populaire, comment définis-tu cela ?

C’est lié à la musique, à ce que tu joues. Que ce soit du rock, du blues, de la musique traditionnelle des Balkans, c’est une musique qui parle à tout le monde, qui peut se jouer partout, dans la rue, dans les cafés, dans les lieux où les gens se rencontrent simplement. Ce n’est pas la musique petit doigt en l’air qu’il faut écouter avec du silence. C’est un truc généreux en fait, qui peut se faire n’importe où, où les gens se détendent, où il y a un brassage d’idées.  Populaire, du peuple. On se n’adresse pas forcément à l’élite, mais à tout le monde. Ce n’est pas le jazz à Marciac, où tu es obligé d’être ouvert au jazz, d’être assis et d’applaudir à chaque solo. La musique populaire est là pour faire sourire le bourrin de base, l’intello lui faire desserrer un peu le pantalon. C’est un défouloir, ça aide à faire sortir le démon. C’est ça la musique populaire pour moi, c’est ce que j’ai envie de véhiculer en tous cas. Mais on est 15 000 à le faire. Les mecs qui font de la peinture murale dans les rues, ils font aussi partie de la culture populaire, ceux qui jouent dans la rue, tous ces gens qui n’attendent pas d’être sur une scène pour s’exprimer !

Faire de la musique populaire c’est un exercice de style en fait. Tu n’arrives pas forcément avec toute ta sono quand tu vas jouer dans un bar. Il faut avoir la finesse de se fondre dans le décor. C’est ça qui est super intéressant, d’être là mais en même temps d’être au même niveau que tout le monde. Quand tu arrives à toucher un peu ça, ça procure un vrai plaisir. Moi à ce moment-là je me sens à ma place.

Et d’ailleurs, comment as-tu commencé la musique, Johnny ?

Au lycée j’ai appris la guitare. Du métal, punk, des trucs assez énervés. J’avais besoin de cette énergie là, ça me parlait, ça m’attirait. J’avais une guitare électrique mais sans ampli car nous étions en HLM. Du coup je suis passé à la sèche car ça s’entendait mieux pour s’accompagner.

Après le lycée, pas grand-chose m’intéressait. J’ai fait une école d’éducateur spécialisé et j’ai commencé à travailler dans mon quartier avec l’aide aux devoirs, l’entrainement de l’équipe de rugby, j’ai travaillé également avec des personnes handicapées. Et parallèlement je faisais beaucoup de musique dans ma chambre. Je suis allé faire les vendanges et ça a été un déclic. J’ai commencé à faire des concerts dans des cafés. Je jouais du Brassens et du Brel de façon un peu énervée et puis du rock alternatif des années 80’ 90’ en m’accompagnant à la guitare. Ce n’était pas très original mais ça me faisait sortir de mon quartier. Puis j’ai développé la voix, écrit mes textes.

Il y a cinq ans je me suis mis à la contrebasse. C’était un peu avant de commencer les aventures musicales avec Johnny Montreuil et Aälma Dili.

Johnny Montreuil 1

Arrives-tu aujourd’hui à vivre de la musique ?

On a quand même la chance d’avoir l’intermittence du spectacle ici en France, ce qui est unique dans le monde ! Cela te permet de faire de la musique, des spectacles, sans être à la merci du mercantilisme et devoir à tout prix vendre des tonnes de CDs. Vivre de la musique sans être putassier. Après il y a le talent bien sûr, il faut tirer son épingle du jeu.

Pour Johnny Montreuil est-ce que « Rockabilly Tzigane » ça définit bien votre musique ?

Je ne sais pas. Pour moi ce qu’on fait ça rentre dans ce qui est rock, chanson rock français, après c’est teinté bien rock’n’roll. Il y a aussi une influence Tzigane que Géronimo a emmené avec son violon.  Il y a eu par cette rencontre de la musique traditionnelle des Balkans, de la musique country aussi, la musique des paysans, influencée par tout ce qui est irish, par les manouches. Tout se mélange. Après il y a un côté très à l’ancienne dans ce qu’on fait. Un côté rock’n’roll hillbilly de la période acoustique avec contrebasse, guitare électrique et pas forcément de batterie. Cette période de transition entre blues et rock’n’roll dans l’histoire, les années 40’ 50’.

Le point convergent de toutes ces influences, ce sont les instruments acoustiques. On n’est pas dans la surproduction, pas dans le gros son. On est vraiment entre le bluegrass, la musique traditionnelle des Balkans, hillbilly, le rock’n’roll. Tout ce côté acoustique et sautillant en même temps.

Aujourd’hui vous commencez à bien tourner avec Johnny Montreuil, vous vendez des CDs en restant indépendants. Et si demain on vous proposait un gros contrat mais on vous imposant certaines directions, vous feriez quoi ?

Faut voir, avec qui, comment, tout est discutable. Faut pas être bête non plus. Il ne faut pas rater certains trains. On a intérêt à se protéger un maximum, nous c’est ce qu’on fait avec notre structure depuis le début. Il faut que ce soit intéressant pour tout le monde, et non pas un mec qui viendrait se faire de la tune sur nos gueules !

De toutes façons plus tu as de l’argent et plus tu en veux. J’ai vécu comme RMIste, maintenant en tant qu’intermittent avec la chance de toucher quelques droits d’auteur. Récemment on m’a proposé un petit rôle au cinéma donc c’est toujours mieux que de crever la dalle.  Quand tu bosses, que tu mets de l’énergie ça finit par arriver. Certaines connaissances sont plus dans le commercial, et ça marche pour eux, tant mieux ! Moi j’ai cette éducation-là, où l’argent n’est pas la finalité, ce n’est pas le but en soi. Mon but, c’est d’être bien, heureux au quotidien. L’argent, j’en ai assez pour que personne ne manque de quoi que ce soit. J’ai une famille et ma passion ne nous met pas dans la panade. On peut partir en vacances, on est bien.


Merci à Benoît pour cette interview. Il va maintenant commencer à travailler sur un second album avec Johnny Montreuil et bien sûr, se laisser porter par la vie !

Retrouvez toute l’actu de Johnny Montreuil sur : http://johnnymontreuil.com/ et sur Facebook : facebook.com/johnnymontreuil

Découvrez le groupe Aälma Dili : http://www.aalmadili.com/

Le livre de Jean Fabien, préfacé par Johnny Montreuil :

http://www.editionsdejuillet.com/products/good-morning-montreuil