Dans quelques heures Romane Bohringer sera seule sur scène, pour incarner le texte d’Annie Ernaux, et son roman « l’Occupation ». La comédienne et le metteur en scène Pierre Pradinas se livrent au jeu de questions réponses pendant les derniers instants de répétition…

Le blog de Nestor : Le roman d’Annie Ernaux dessine le portrait d’une femme, d’une quarantaine d’années en pleine séparation. Racontez-nous cette passion, cette jalousie maladive…

Pierre Pradinas : C’est un magnifique texte que nous avons porté sur scène avec Romane et Christophe Minck qui joue de plusieurs instruments en direct. C’est l’histoire d’une femme qui a vécu pendant de longues années avec un homme, qu’elle décide de quitter. Elle apprend ensuite que cet homme est tombé amoureux d’une autre femme. A partir de ce moment, elle souhaite savoir qui est cette femme. Elle rentre alors dans une passion jalouse, c’est pour cela qu’elle dit qu’elle est occupée par l’autre personne. On voit toute son évolution. C’était l’occasion avec Romane de jouer un personnage incroyable dans une modernité. Tout au long de la pièce on découvre l’intimité de cette femme aussi dans les non-dits, c’est intéressant de voir ce point de vue, par rapport à l’amour et la passion.

Romane Bohringer, quelle a été votre réaction à la première lecture du roman d’Annie Ernaux ? Qu’est-ce qui vous a touché dans ce personnage ?

Romane Bohringer : J’ai d’abord découvert la langue d’Annie Ernaux. J’ai ensuite parcouru son œuvre. Avec sa langue, elle scrute, elle détaille, elle rend palpable ce sentiment, cette sensation qu’on a tous vécu à un certain moment dans notre vie. Elle parle de la jalousie, mais au delà, le texte parle de l’obsession amoureuse, de la dépossession de soi-même, d’un moment de vertige dans son existence où elle descend dans les méandres d’elle-même. Seulement, elle a des mots pour le faire, qui m’ont complètement bouleversée. C’est la beauté, la lumière des grands auteurs. Elle va si loin, si précisément, si sensiblement mais en plus très spirituellement car elle est très drôle. En même temps c’est tellement plein d’humanité que ça ressemble à nous tous, hommes et femmes confondus. Elle se rapproche si près de ce qu’elle est et ressemble, qu’elle, c’est tout le monde. J’ai réellement découvert une langue dont je sors grandie.

L'Occupation (Pierre Pradinas / Romane Bohringer)

L’Occupation (Pierre Pradinas / Romane Bohringer)

Annie Ernaux parle de son roman en disant : « L’image et l’existence de l’autre femme n’ont cessé de m’obséder, comme si elle était entrée en moi. C’est cette occupation que je décris. » Comment, Romane Bohringer, donnez-vous vie à ce personnage ? Où allez vous chercher cette force, ce côté obscur ?

R. B. : Elle ne décrit pas une situation très exceptionnelle. C’est un moment que peu ou prou on a tous traversé. Ses mots m’aident à donner vie à cette sensation que j’ai en moi. Mon truc de comédienne n’est pas tant d’aller chercher en moi… mais d’arriver à retranscrire la profondeur, la complexité, et la lumière de sa littérature. Ce qui m’intéresse c’est d’arriver à faire que la matière prenne forme, que la chimie de son écriture parvienne aux spectateurs. Les textes d’Annie sont étonnants, c’est à la fois littéraire et totalement animal, sauvage…

Pierre Pradinas, pour vous le choix de Romane Bohringer s’est imposé ? Vous avez tout de suite pensé à elle ?

R. B. : Il était obligé de travailler avec moi (rires des 2)

P. P. : Quand j’ai lu ce texte, je me suis pris de passion pour lui. Je l’ai lu d’une traite. J’ai adoré… On parlait depuis un certain temps de faire quelque chose ensemble avec Romane mais je n’avais pas trouvé l’occasion. Là, en lisant ce texte, je me suis dit : Bien sûr c’est pour Romane. Ce n’est pas la première fois qu’on travaille ensemble… Ce type de personnage on ne l’avait jamais traversé ensemble et donc c’était une expérimentation incroyable à faire et avec Christophe Minck également. Il y a une harmonie importante entre la musique (la harpe) et le texte. Il fallait quelqu’un qui soit capable d’incarner, d’aller vers le personnage, de retranscrire tous les méandres, toute la complexité, toute la drôlerie aussi. Je sais que Romane peut aller dans tous ces registres. C’est un très grand bonheur de travailler ensemble. Je ne vois pas la limite, je ne vois pas ce qui est impossible dans notre travail.

Bohringer-Pradinas, c’est une collaboration qui tourne. Ce n’est pas la première fois que vous travailler ensemble, vous nous livrez le secret ?

P. P. : On se lasse pas.

R. B. : Non nous n’avons pas de secret. On a fait 9 spectacles. On est bien ensemble, on passe une bonne vie.

Une bonne vie, une jolie fin. Romane Bohringer, Pierre Pradinas, merci de nous avoir accordé quelques minutes. On se retrouve au Théâtre municipal Berthelot, ce soir, à 20h30, (6 rue Marcelin Berthelot). Merci également à l’équipe du TMB notamment Herman qui nous a facilité cette rencontre artistique.

Propos recueillis par Christophe Barette

Photos © Marion Stalens/ Christophe Barette