L’hiver était encore là. Il ne nous avait pas quitté depuis des semaines. Impossible de l’oublier tellement il nous rougissait les joues et congelait nos doigts avec malice. Février est le mois le plus court, on s’habitue à la nouvelle année. Le temps passe si vite. C’est ce qu’elle se répétait sans cesse en voyant les deux premiers. Ils passaient toujours par les Beaumonts. Les vacances scolaires arrivent vite pour les deux enfants. La plus grande prenait toujours de l’élan avec son grand vélo et faisait le tour du parc. Le plus jeune jouait avec ses dinosaures sur le banc à côté d’elle.

Le ciel était bleu. Du haut du parc, on voit la ville. On voit plus loin. On se projette. Elle le savait. Elle n’avait pas eu besoin de lire les résultats. Le regard bleu, elle s’imaginait déjà l’automne prochain avec le troisième qui sera là. On ne pouvait pas la voir sourire sous son écharpe. Ce soir quand la famille sera réunie ils pourront l’annoncer aux enfants. En attendant, il fallait rentrer par ce froid. « 3 minutes, 3 minutes » dit la plus grande du haut de son vélo. Tous les trois traversèrent le rond-point direction la maison. Les trottoirs ne sont pas larges alors il faut faire attention. Au feu ils traversèrent la route. Au croisement, elle se rappela qu’elle s’était inscrite à l’atelier relaxation à la Maison Pop  mais elle y était allée que trop rarement. Elle se dit qu’elle aura le temps d’y aller dans quelques mois. Le soir, toute la famille est réunie. La journée a été plutôt bonne. Un dessin animé au Méliès et le soir l’annonce d’un petit frère ou d’une petite sœur. La plus grande dit qu’elle souhaite avoir un petit frère. Le plus petit voudra jouer avec lui aux dinosaures ou aux voitures dans le salon. Dans quelques années ils seront tous les trois à l’école Danton. Une fois les enfants couchés, on va réfléchir à la nouvelle configuration des chambres. Pourquoi ne pas poncer le parquet ? Profitons-en pendant que l’on va faire des travaux. Pourquoi ne pas peindre un mur en bleu canard ?

Les beaux jours arrivaient à peine. On avait attendu le retour des oiseaux avec impatience. Elle les avait vus revenir lorsque, assise sur son banc à l’entrée du musée, elle avait guetté ces nuages d’un gris profond qui venaient se joindre aux blancs cotons. Dans le parc elle avait regardé attentivement les fenêtres de la PMI situé à l’entrée. Elle était venue uniquement avec la grande. Comme à son habitude elle faisait des allers-retours dans le parc sous le regard amusé de sa mère. Celle-ci se rappelait de la réaction de ses collègues et de sa famille lorsqu’elle avait annoncé sa troisième grossesse. Des moments de sourires, et déjà la perspective d’une absence au travail. Elle était chargée du suivi d’un certain nombre d’enfants. Elle avait déjà commencé à leur en parler. De toute façon, elle n’aurait pu tromper personne avec son ventre qui commençait à s’arrondir.

La grande fille aimait bien le parc Montreau. Elle faisait des grands tours et s’amusait à descendre les grandes pentes. Toutefois elle ne parvenait pas toujours à les remonter et il n’était pas rare qu’elle pousse son vélo. Une fois qu’elle en avait marre, elle retournait voir sa mère toujours assise sur son banc. Aujourd’hui elle avait pensé à prendre le reste de la baguette d’avant-hier qui avait bien durci. Un peu en bas sur la gauche il y a une petite mare avec des canards et des poules d’eau. La grande fille venait ici depuis qu’elle était toute petite mais adorait toujours donner du pain aux animaux qui se précipitaient toujours sur le bord pour voir ce que l’on pouvait leur jeter.

L’été était bien là. On avait rangé les pulls et les manteaux dans l’armoire. La fête de l’école était passée et les enfants avaient dit au revoir à leurs enseignants. En septembre prochain, le petit garçon fera sa deuxième rentrée. Avant tout cela, la famille hésite à prendre la longue route pour le sud. Est-ce bien raisonnable après une petite frayeur avec le bébé? Sur un banc ombragé du Parcabout, elle jette régulièrement un œil sur le plus petit. La grande se débrouille plutôt bien dans les jeux gonflables. Le plus petit a mis du temps à délaisser ses petites voitures pour enfin aller jouer avec les autres enfants. La famille est réunie. Elle sera bientôt en arrêt et lui a trois semaines de vacances. Pour le moment les petits trajets à pieds sont encore faisables.

A côté de la mairie, les rendez-vous chez la sage-femme se passent bien. Elle demande régulièrement des nouvelles des enfants. La main sur son ventre, elle se souvient d’il y a 10 ans, l’arrivée dans la ville, la première grossesse, les premières interrogations. Cette ville bouillonnante, gigantesque et impressionnante, allaient-ils pouvoir s’y plaire ? Ils ont connu les travaux sur la place de la mairie, les espoirs de la prolongation de la ligne 11 à la Boissière, le tracé du tramway et la destruction de la voie rapide vers Fontenay, les nouveaux commerces au-dessus de sept chemins. Elle se souvient du déménagement, des sens interdits et des petites rues, des gens qui se disent bonjour, des métros bondés à 1h du matin le samedi et tous ces gens qui disparaissent dans la nuit les mains dans les poches sur les boulevards autour de la mairie.

Quelques semaines plus tard, en finissant de ranger les valises des enfants, elle sourit en regardant le petit jouer avec ses voitures. Demain c’est la rentrée. Elle s’est bien passée d’ailleurs et la maîtresse est plutôt contente mais si la cantine c’est un peu plus compliqué. Il faut désormais faire attention dans la rue à cause des feuilles mortes. Septembre a plutôt été clément en température. Octobre et les anniversaires des deux grands ont passé vite. Les dernières semaines sont longues. « Normalement c’est début novembre » répétait-elle souvent. La valise était prête et déjà dans la voiture. Il ne leur fallu que quelques minutes pour partir à la maternité. Un coup de fil aux grands parents pour garder les enfants et un nouvel habitant a vu le jour peu après le déjeuner.