Nathalie, rue Pasteur

Il pleut. Une grosse pluie, de celles qui vous  laissent trempé-guéné en quelques instants. Arrivée en avance, elle était passée devant le zinc et avait hésité entre salle et  terrasse couverte. La salle était un peu bruyante surtout quand on s’installait sous la coupole. La terrasse était fermée donc abritée, elle pourrait y fumer une cigarette et choisit cette option. Elle s’était assise à une table côté rue de façon à pouvoir regarder le ballet des passants cherchant à échapper au déluge. A un moment, elle avait levé les yeux, un bus passait. Le souvenir d’un rendez-vous au même endroit lui revint en mémoire…

Elle l’avait senti avant de pouvoir apercevoir la couleur de ses yeux. Il débordait de parfum et cela avait joué comme un répulsif. A cet instant, elle avait dû lutter contre ses a priori. Ils avaient commandé à boire et commencé à discuter. Il était nerveux. Elle se sentait détendue. Échange un peu typique du premier rendez-vous de deux personnes qui ont tout juste fait connaissance sur un site de rencontre et se voient pour la première fois. Pas désagréable, mais elle n’était pas vraiment enthousiaste.

 A plusieurs reprises, elle avait senti son regard se déporter vers la rue et observer avec attention ce qui s’y passait. Il était absorbé dans sa contemplation, perdait le fil de leur échange quelques instants puis revenait à leur conversation. Devant son étonnement, il s’était excusé et expliqué. Sur cette portion de route réservée aux bus et aux vélos, la chaussée ne comportait qu’une seule voie bien que les véhicules circulent dans les deux sens et cela le fascinait. Soit… déformation professionnelle, il travaillait à la DDE.  Au bout d’un moment ses absences devenaient gênantes. Pas emballée au départ, elle se sentait de plus en plus désintéressée. Elle aurait voulu être chez elle, lire un bouquin blottie sous la couette. Lasse de ses éclipses à répétition, elle avait fini par s’éclipser à son tour.

Sa clope terminée, elle se rendit compte qu’elle avait un peu froid et décida d’aller à l’intérieur. La salle était à moitié pleine, elle s’installa sur le côté, et observa la salle avec ses anciennes machines industrielles, son vieux piano, ses lampes en acier. Il n’allait pas tarder à arriver.

René, place du marché

Comme tous les vendredis, il avait rendez-vous avec  Raymond. Chacun de leur côté, ils faisaient leur marché et se retrouvaient leurs courses terminées avec leur caddie pour boire un verre au bar qui donnait sur la place. L’été, ils profitaient de la terrasse et du soleil qui réchauffait leurs vieilles carcasses. Dès que le temps était frais, ils s’installaient à l’intérieur.

Il faisait beau, le soleil d’avril resplendissait mais l’air était encore frais alors il entra. Passant devant le comptoir, il commanda un verre de blanc et s’installa à leur place habituelle. Anciens collègues, ils se remémoraient chaque vendredi leurs souvenirs, râlaient contre, la ville qui changeait, les parisiens, qui y immigraient, chassés par la spéculation immobilière. Le Bas-Montreuil industriel qu’ils avaient connus n’existait plus.

A l’extérieur, le marché battait son plein. Les clameurs des marchands de légumes qui haranguaient les passants, les klaxons des voitures bloquées dans une circulation rendue difficile lui parvenaient jusque dans le bar dont la porte était pourtant fermée. Ils avaient pris l’habitude de venir tôt. Plus ils tardaient, plus il était difficile de se frayer un chemin tant les allées étaient bondées, ce qui commençait d’ailleurs à être le cas à cette heure-là. De sa place, il aperçut au loin son ami s’extirper de la foule, mission accomplie.

Bertrand, rue de Romainville

Il lui avait dit qu’il ne voulait pas fêter son anniversaire alors ils n’avaient rien prévu de spécial ce jour-là. A son retour du travail, elle lui avait proposé d’aller boire un verre comme ils le faisaient souvent le vendredi. Les garçons avaient pris leur ballon et ils étaient partis. Un vendredi soir comme un autre : quelques bières, des frites et un soda pour les garçons, une planche de charcuterie et de fromage. Ils se posèrent sur la terrasse. Les garçons investirent le trottoir. Aucun de leurs copains habituels n’était présent. Il s’en étonna, elle haussa les épaules.

 Il se leva et se dirigea vers l’intérieur du bar. Sur le pas de la porte, il lui sembla entendre son aîné demander à sa mère « C’est maintenant ? » mais quand il se retourna, il était occupé à faire des passes à son frère. Il avait dû se faire des idées. Le bar était calme. Fonzi l’accueillit avec son rictus habituel.

Quand il ressortit, un tonitruant « joyeux anniversaire » retentit. Ses potes habitués du lieu, étrangement tous absents ce soir-là, étaient maintenant réunis sur la terrasse.

23h30, dernières consommations. Minuit, fermeture. C’était un vendredi soir comme les autres, enfin presque.

Martin, place du marché

C’était un client régulier, discret. Je l’avais remarqué car il ne venait que l’après-midi, à un moment où il y a un peu moins de monde au bar, après le rush du midi et avant l’heure de l’apéro. Il arrivait souvent seul mais était rejoint par la suite.

Ce jour-là, à son arrivée, il avait scruté la salle comme s’il cherchait quelqu’un puis était allé s’installer dans la seconde partie du bar, à l’écart des allées et venues des clients et des serveurs. Il s’était assis au fond près de la fenêtre, avait posé son téléphone sur la table. A intervalles réguliers, il jetait un œil dehors ou sur son portable. Il semblait nerveux. Il commanda un café et se mit à contempler vaguement les jaquettes de vinyle qui décoraient les murs.

 Cela faisait une grosse demi-heure qu’il était là. Celui ou celle qu’il semblait attendre n’arrivait pas. Il avait envoyé plusieurs messages et gardait maintenant le regard fixé sur l’écran de son téléphone. Ses doigts tapaient sur la table traduisant son agacement. Qui attendait-il ? L’affaire avait l’air sérieuse.

A la première vibration, il se jeta sur son téléphone, fébrile. De nombreux sentiments passèrent sur son visage en quelques secondes : espoir, déception, inquiétude. Il se leva, laissa tomber quelques pièces sur la table et partit, la mine déconfite. Je ne l’ai jamais revu depuis ce jour.