Je l’avais surnommé pour moi-même monsieur Papillon. Quand je le voyais arriver, je savais qu’il y avait du rendez-vous galant dans l’air. Et, à chaque fois, il était rejoint quelques instants plus tard par une femme, jamais la même.                                                                                                                                                                                                        Je le surnomme toujours ainsi même s’il ne papillonne plus. Il s’installe dans un coin tranquille, commande un café et sort un livre. Qu’est-ce qui a motivé ce changement ? Ce serait trop indiscret de poser la question. Cela reste un mystère.

Il emmenait les âmes bucoliques flâner aux murs à pêches, les sportives courir aux Guilands, les intellectuelles au musée de l’histoire vivante, les cinéphiles au Méliès, les mélomanes dans une des nombreuses salles de concert de la ville…
Tout cela, c’était pour le second rendez-vous, le premier avait lieu dans ce bar au nom prédestiné. L’hiver, il choisissait une table un peu à l’écart dans la salle, l’été il privilégiait la cour dont les murs de briques ne manquaient pas de charme. Les serveurs le saluaient d’un clin d’œil quand il arrivait. Il était toujours en avance, prenait un moment pour observer la salle ou se dirigeait vers l’extérieur si le temps le permettait.
Ce jour-là, il avait rendez-vous avec une femme rencontrée au marché. Il avait engagé la conversation alors qu’ils attendaient tous les deux pour être servis.

Elle aimait le marché au printemps avec ses étals regorgeant de tout ce que la douceur revenue avait laissé échapper de la terre. Elle hésitait – asperges ou radis en entrée, cerises ou fraises en dessert – quand elle fût tirée de sa réflexion par un homme. Ils échangèrent quelques mots. Au moment d’être servie, elle renonça à choisir et acheta radis, asperges, fraises et cerises.
Alors qu’elle tergiversait : chèvre ou camembert ? Une voix l’interpella. Le hasard la fit sourire. Elle plaisanta quelques instants avec l’homme rencontré un peu plus tôt chez le maraîcher, acheta chèvre et camembert puis continua son marché.
La troisième fois qu’elle le croisa, elle ne crut plus au hasard et comme l’homme était sympathique elle lui laissa son numéro et quitta la file où ils étaient sans rien acheter.
Il l’avait contactée quelques jours plus tard et invitée à boire un verre dans un des bars de la place où ils s’étaient rencontrés. Le jour venu, elle décida de s’installer au café pour lire avant le rendez-vous. C’est ainsi que quand il entra dans le café, il eut la surprise de la trouver déjà installée.

Décontenancé, presque contrarié de ce grain de sable dans sa routine, il se dirigea vers elle. L’apercevant, elle rangea l’épais guide plein de marques-pages multicolores dans lequel elle était plongée jusque-là. A l’expression de surprise qu’il avait laissé entrevoir à son arrivée, elle s’était demandée s’il n’était pas déçu. Peut-être regrettait-il de lui avoir proposé de boire un verre ? Mais il remplaça vite cette expression par un large sourire alors elle remisa ses doutes et ils engagèrent la conversation.

Tandis qu’ils terminaient leurs verres, elle lui dit qu’elle avait encore beaucoup de choses à préparer et qu’elle allait devoir partir. Il s’était alors dit qu’elle cherchait une excuse pour prendre congé mais il n’en était rien. Elle lui avait proposé de l’accompagner le vendredi suivant à la cantine des Epernons dans la rue du même nom. Lui qui connaissait bien la ville n’avait jamais entendu parler du lieu. Ils s’étaient donc retrouvés au repas mensuel organisé par les habitants de l’Atelier et avaient diné dans une ambiance festive entourés des œuvres des occupants du lieu.

Il est arrivé et s’est installé comme à son habitude. Il a commandé un café mais n’a pas sorti de livre. Visiblement, il attendait quelqu’un car il jetait à intervalle régulier un regard en direction de l’entrée. Je me suis dit, tiens Monsieur Papillon est de retour…
Son visage s’est illuminé quand une femme chargée d’un gros sac à dos est apparue dans l’encadrement de la porte. Ils se sont souris. Son visage ne m’était pas inconnu. On dirait que le papillon a trouvé une fleur à son goût. Le mystère est résolu.