Sur l’autoroute me rapprochant de mes souvenirs, j’osais à peine regarder à travers la vitre. Le paysage si familier défilait comme un film que l’on regarde en avance rapide. Cela faisait des années que j’étais parti. Je m’étais juré de revenir. Ce sera chose faite aujourd’hui. J’avais mûri longuement ma décision. Fallait-il tout tenter ? Fallait-il la retrouver ? J’y avais réfléchi des années. Je me retrouvais dans cette voiture. Je ne savais plus exactement comment. Le regard un peu dans le vide je me suis arrêté quelques instants sur la carte professionnelle du taxi posée sur le tableau de bord. Seul figurait son nom de famille: Charon. « Nous arrivons bientôt » me dit-il. Sa voix me fit sursauter. « Oui, me revoilà au point de départ ».

En traversant l’autoroute A86, je me suis rendu compte que la ville n’avait pas changé. De loin, on aperçoit toujours les grandes tours de la Boissière qui dominent la plaine. En contrebas, le centre commercial d’ameublement ressemble à un espoir perdu malgré ses néons aguicheurs. Quelle ironie de ressentir autant de vide dans un magasin censé vendre des objets pour remplir une maison. le taxi m’arrêta à la frontière nord. Je descendis au feu. La voiture fit demi-tour et reprit la route.

La place était déserte. J’en fus extrêmement étonné. J’avais le choix. Prendre à droite vers l’hôpital, prendre à gauche vers le parc Montreaux ou bien descendre vers la Mairie. J’ai décidé de prendre à droite. J’avais envie de marcher. Je ne savais pas ce que le sort allait me réserver. Alors j’avais le temps. J’ai marché sur le trottoir étroit. La nuit était tombée. L’hôpital était éclairé de blanc et de rouge. En levant la tête, j’ai vu des gens débout à leur fenêtre. Certains me firent un signe de la main pour me saluer. Tout en marchant je leur fis également un signe à mon tour. Arrivé au carrefour, je pris quelques minutes pour me reposer. Je me suis assis à l’abribus pour rassembler mes idées. Au bout de quelques minutes je me suis levé. J’ai alors aperçu un grand miroir posé contre un mur. La vitre était brisée. Je me suis placé devant. Malgré les morceaux éclatés, j’ai regardé quelques instants mon visage. J’avais l’air jeune malgré toutes ces années, comme si je n’avais pas changé. J’avais toujours cette écharpe autour du cou. C’était elle qui me l’avait offerte. Je m’en souviens maintenant. J’ai repris mes esprits. J’étais bien de retour pour une raison. Pour aller la chercher. Elle. J’étais prêt à tout. J’étais déterminé.

Je pris maintenant le chemin en direction du centre ville. Je marchais le long de la longue avenue. Le soleil commençait à peine à percer derrière les immeubles. J’ai marché une vingtaine de minutes sans croiser personne à mon grand étonnement. Aux Sept Chemins, je n’entendis aucun bruit. Les feux tricolores étaient éteints. Au milieu de la chaussée j’essayais de regarder dans chaque rue s’il y avait quelqu’un. Comme à l’hôpital, des personnes me regardaient de leur fenêtre en me saluant de la main. Ce n’était pas l’idée que je me faisais de cet endroit. Après tout, personne n’y était jamais revenu pour en parler. On en parle beaucoup dans la mythologie grecque. Tu m’avais offert un livre racontant les exploits de Thésée et sa descente aux enfers avec Pirithoos.

J’ai continué ma route et je suis arrivé au centre ville. Tout était d’un calme paisible. Ce n’était toujours pas l’aube. Une légère brume enveloppait la place d’un linceul blanc. J’aperçus alors au loin des lumières dans l’obscurité. Le cinéma semblait ouvert. Une fois devant, j’ai vu que les lumières des couloirs étaient allumées. Il y planait une odeur de fleurs. Un homme entra alors dans le cinéma. Il me salua d’un hochement de tête puis se dirigea vers une salle sur la droite. Alors qu’il allait rentrer dans la salle, je lui demandai alors :

« Je cherche quelqu’un… Je n’ai croisé personne à part vous… Pourriez-vous m’aider ?« 

« Pensez à l’endroit où elle apparaît dans vos souvenirs……« 

Puis il entra et referma la porte derrière lui.

J’étais comme désemparé face à cette réponse. J’avais tellement de souvenirs. Je repensai alors au reflet dans le miroir de l’écharpe que je porte souvent. Elle me l’avait achetée dans une boutique non loin de la place près de la rue piétonne. Je pris alors les jambes à  mon cou en direction de la boutique aux couleurs bleues. Une fois arrivé à proximité, j’ai ralenti un  peu afin de reprendre mon souffle. Une femme d’un certain âge se trouvait en face de moi. Elle portait une longue robe noire. Il me semblait la connaitre. Je l’avais croisée récemment mais je ne parvenais pas à savoir où exactement. Elle s’approcha de moi et me salua. J’allais lui demander de m’aider mais elle posa sa main sur ma joue et me dit « Il est désormais temps de rentrer chez toi« . Puis elle poursuivit sa route en direction de la place ovale où semblaient l’attendre quatre personnes.

Encore une fois, je me suis senti perdu. Chez moi ? Où est ce chez moi ? Dans la vie où je m’étais installé après être parti d’ici ? Sûrement pas. Je n’eus pas trop à réfléchir avant de me diriger vers le lieu où nous avions vécu ensemble. Il était à deux pas d’ici. Je retrouvais le boulevard Rouget de Lisle et son café jaune et rouge. Nous habitions juste au dessus. Une fois en bas de l’immeuble, je poussai la grande porte noire. Je montai les marches quatre à quatre. Arrivé devant la porte, je m’arrêtai quelques instants. J’écoutai attentivement le moindre bruit, le moindre signe de vie à l’intérieur de l’appartement. Je n’entendais rien, à part le battement de mon propre cœur. Je me suis alors assis sur les marches.

J’allais redescendre lorsque j’ai entendu quelqu’un chantonner derrière la porte. C’était bien elle, j’avais reconnu sa voix, sa façon de fredonner sans cesse des airs de musique douce. Tremblant, j’ouvris la porte. Elle se tenait là devant moi au bout du couloir.

« Bonjour chéri, tu es rentré, je t’attendais.« 

« Tu m’attendais ? C’est moi qui est venu te chercher. Tu m’as tellement manqué. J’étais tellement désespéré,  j’ai tenté l’impossible….  Viens vite, nous partons !!! « 

« Viens, rentre quelques minutes, nous devons parler.« 

Elle me prit la main et nous nous sommes assis dans le salon. Tout était exactement comme dans mes souvenirs, comme si nous n’étions jamais partis d’ici.

« Viens je t’emmène avec moi, je vais te délivrer de cet enfer, on sortira d’ici, on ne se quittera plus, on construira notre maison…« 

« Mais chéri, c’est ici notre maison. Je t’attendais, maintenant que tu es là, nous pouvons rester ici pour l’éternité ». 

Elle prit mon manteau et dénoua mon écharpe. Puis elle pointa son doigt en direction du miroir accroché sur la cheminée. C’est à ce moment là que j’ai vu la marque rouge autour de mon cou.