Dehors, c’était un sacré vacarme. Il en avait déjà vu des scènes de la sorte dans des films. Mais c’était du cinéma. Là en revanche, il en était le personnage principal. Lui et son copain. Il n’osait tourner la tête de peur de ce qu’il pourrait voir. Cela faisait bien bien une vingtaine de minutes qu’il ne lui répondait plus. Il avait cessé de l’appeler et s’attendait au pire. Il en était même sûr maintenant. Cela faisait un long moment qu’il était assis dos au mur. La fenêtre au dessus de lui avait volé en éclats.  Les morceaux de verre au sol reflétaient des lumières tournoyantes d’un bleu foncé. Il était complètement gelé malgré le printemps naissant. Son cœur le faisait souffrir à force de cogner. Il posa son arme et regarda ses mains rougies par les égratignures. Il croisa les bras et posa sa tête.

Elle était une nouvelle fois convoquée au collège. Encore une fois. Elle était tellement fâchée qu’elle ne l’avait même pas disputé. C’était trop. Encore une demi-journée de travail manquée. C’était encore ça en moins sur la fiche de paye.

Elle écouta à peine le motif de la convocation. Que pouvait-elle trouver à dire ? Pouvait-elle défendre son fils ? Est ce pour cela qu’elle et son mari s’étaient installés en France ? Certes, le quartier des Ruffins n’est peut-être pas le plus beau de la ville, mais les enfants pourraient bénéficier d’une bonne instruction. Le collège Politzer est à deux pas de la maison. Le parc aussi. Très rapidement, elle et son mari avaient trouvé un travail. Les horaires étaient loin d’être évidents à gérer. Mais il fallait travailler.

Dans la chambre de parents, les deux grandes valises étaient toujours rangées en haut de l’armoire. Sans réellement se le dire, ils espéraient un jour pouvoir rentrer au pays et retrouver une partie de leur famille. Toutefois les températures glaciales de l’hiver lui ont rappelé la dure réalité du quotidien. Elle prenait le bus 122 tous les matins à 5h36 pour rejoindre la Mairie et son métro pour se rendre au travail. Elle avait sympathisé avec les gens du quartier qui partaient au travail à la même heure. Il n’y a pas vraiment foule à cette heure là. Quand un voisin n’était pas à l’arrêt lorsque que le bus approchait, des regards inquiets se tournaient vers les arbres à coté du parc. Parfois le chauffeur de bus acceptait d’attendre quelques instants de plus quand il voyait une silhouette se presser dans la nuit.

Les mots « exclusion définitive » la firent frémir. Qu’allait-il arriver par la suite ? Elle savait qu’une fois sorti du système scolaire son fils allait devoir se débrouiller pour trouver un travail. Depuis l’annonce de la décision du collège, elle n’avait prononcé un seul mot. Elle descendit péniblement les escaliers les menant à la sortie. Son fils se tenait à quelques mètres derrière. Son regard ne quitta pas le sol jusqu’à la maison. Il ne voulait pas croiser celui de sa mère.

Il profita des vacances « avant tout le monde » mais en septembre dernier, quand les jeunes du quartier retournèrent à l’école, il prit vraiment conscience de la situation. Il passait ses journées dehors avec son ami d’enfance, qui très rapidement s’est retrouvé lui aussi déscolarisé. Un jour d’octobre, à force de se faire sermonner par sa mère, il se leva avant midi pour se rendre à la mission locale situé à Croix de Chavaux.

Il rentra sans dire un mot. Un animateur l’accueillit. Il fut reçu pour un premier entretien. Les yeux baissés, il répondait aux questions d’une voix peu audible, si bien que son interlocuteur dût lui demander de répéter à plusieurs reprises. Sans le montrer, il repartit plutôt content de ce premier rendez-vous. Son animateur lui en proposa d’autres. Il vint aux trois suivants. Il fût accompagné une fois par son ami. Puis, on ne les revit plus là-bas ni l’un ni l’autre.

On les croisa plusieurs mois après devant la vitrine d’une agence d’intérim. Un des deux portait une chemise avec des documents à l’intérieur : la photocopie noire et blanche d’une carte d’identité, un CV réalisé à la Mission Locale et une courte lettre de motivation rédigée dans la douleur sur la table du salon avant de sortir. Après une discussion assez animée entre eux, on les vit repartir en scooter dans le froid de l’hiver. Au printemps, on les retrouva sur le nouveau terrain de sport à coté de la nouvelle piscine. Après avoir fini leur partie de football, ils discutèrent longuement, le regard tourné vers la station service en face. Ils avaient le regard anormalement tendu, eux d’habitude si expressif. Ils se séparèrent à l’arrêt de bus. Avant cela, ils se rappelèrent l’heure du rendez-vous. « A 22h devant  la déchetterie, et t’oublies pas les … »

Dans les arbres bordant le carrefour, entre la route rapide menant à l’autoroute et le quartier des Murs à Pêches, un Sphynx est posé sur un tronc. Depuis le coucher du soleil, il recueille le nectar des fleurs du parc non loin de là. Le Sphynx est un papillon capable de parcourir de grandes distances au cours de sa vie. A 22h32, des cris se font entendre non loin de là. En entendant les policiers qui donnent l’assaut sur la station service, le papillon s’envole, d’abord de façon tremblante, puis stationnaire. Puis, il disparaît dans la nuit.