L’endroit était mal famé. ça sentait un mélange de whisky, de sang séché et de crottin de cheval. Il avait tenté de se faire discret mais, comme tous les étrangers qui rentraient dans un de ces rades miteux, beaucoup de visages s’étaient tournés sur son passage. Droit dans ses bottes, il se dirigea vers le comptoir. Le barman le dévisageât et attendit qu’il parle en premier. « Il y a une chambre de disponible? » « Ça dépend pour qui ? » « C’est le shérif qui m’envoie à cause de ce que vous savez. » « Vous avez de la chance, une chambre vient de se libérer« . Il lui tendit une vieille clé rouillée. « C’est au premier« 

Le voyage avait été long et harassant. Le train l’avait déposé il y a quelques heures. La gare minuscule à côté de l’hôtel de ville était l’une des premières construites avec l’arrivée du chemin de fer. Cette ville était séparée de la capitale par une zone désertique. Il s’imaginait déjà, plus tard, que des gens viendraient s’installer dans cette zone. Mais il ne savait pas comment loger toutes ces nouvelles familles. On y voyait déjà, de ci de là, des roulottes de nomades. Mais il n’y avait pas grand monde.

En entrant dans sa chambre, il posa ses affaires sur son lit. Il ouvrit la fenêtre pour voir ce qu’il pouvait apercevoir. Il avait une vue improbable sur le cimetière. En ces temps douloureux, les enterrements se succédaient. Le croque-mort avait même eu besoin d’embaucher. A coté du cimetière se trouvait une grande friche qui dominait la ville. Un peu derrière se trouvait le saloon où des musiciens se produisaient plusieurs fois par semaine. Dans le même secteur il devait y avoir une école car on entendait une cloche sonner.

L’étranger sortit du saloon pour se rendre au bureau du shérif. Il était situé sur la droite en remontant de la grande place de l’hôtel de ville. C’était un vieux local assez cradingue. Les trois cellules étaient derrière le comptoir. Un vieux monsieur se tenait sur le pas de la porte. Il sa faisait appeler « Bill Trompe la Mort » car il avait, parait-il, réussi à échapper à une attaque un soir à la sortie du saloon. Il mâchait toujours du tabac et crachait avec précision dans un grand pot. Sans dire un mot, il lui indiqua d’un mouvement de tête la porte du bureau du shérif.

C’était un homme dans la quarantaine, la moustache impeccablement taillée, le veston propre et bien amidonné où trônait son étoile au métal luisant. « On en est à la 15eme victime ce mois-ci. Les gens deviennent méfiants. Plus personne ne sort à la tombée de la nuit. Le magasin souterrain de la ville est quasi vide. Les gens soupçonnent tout le monde. » L’étranger avait sorti son calepin pour prendre des notes. Dans cette ville en état de peur, il était bien content d’avoir pris son revolver. Il salua le shérif et prit la direction du nord pour rejoindre, en haut de la colline, l’hôpital du coin. C’était une bâtisse assez neuve. Les volets étaient peints en bleu foncé. En jetant un coup d’œil sur la droite il découvrit dans le lointain le fleuve qui serpentait vers l’horizon. Il était question de construire une route le long des berges. Il se rappela qu’il avait rendez-vous avec le docteur de la ville alors il entra et annonça sa venue à l’infirmière qui se tenait à l’accueil.

Le docteur reçut l’étranger dans son bureau. Il lui dit: « 30 ans de métier et je n’ai jamais vu des marques pareilles. Pendant des jours je me suis interrogé sur les causes de décès jusqu’à ce que mon regard se pose sur ces petites marques de dents. J’ai fait des recherches et j’ai pu faire une hypothèse……………..« .

L’étranger l’écouta attentivement. Lorsqu’il comprit la théorie du docteur, il avala sa salive. Il essuya son front avec son mouchoir. Il prit quelques notes et repartit vers le sud. Dehors, le vent s’est levé entraînant avec lui des bourrasques de sable. Arrivé sur la grande place déserte, il distingua une forme dans la pénombre. Il se frotta les yeux pensant au sable qui devait brouiller sa vision. Il ne voyait plus rien. Il repensa aux paroles du docteur et frissonna. Il se dépêcha de rejoindre sa chambre. Il s’enferma à double tour cette nuit là en ayant bien regardé sous son lit. Il souffla sur la lampe et s’endormit avec peine.

Le lendemain, il prit son whisky tôt le matin. Il demanda au barman : « Qui peut me  donner des informations ? » Il lui répondit: « Les gens des roulottes« . Il sella son cheval et pris la direction de la grande plaine. Arrivé devant le campement, il fut accueilli par une bande d’enfants. « Faut aller voir maman pour ça, nous on aime bien criave les niglos. » Une femme sortit de la roulotte. Elle avait les cheveux longs et une longue robe. « Hey narvalo, pourquoi tu veux savoir ça? Tu viens ici me déranger et faire peur aux gosses !!! Déjà qu’y arrêtent pas de se courave toute la journée. Va manger tes morts, NACHAVE!!! » Ni une ni deux, il remonta sur son cheval et repartit vite fait vers la ville.

En arrivant sur la rue principale, une vieille dame lui fit signe. Intrigué, il se dirigea vers elle. Elle lui dit à l’oreille: « Je sais ce que tu cherches étranger, j’aime bien ta mouille, à toi je peux penave tranquille. Personne n’écoute une pourrie comme moi. Alors ouvre tes canes: …………….. » Il écarquilla les yeux. Le médecin avait raison. Il remercia la vieille dame et rentra au saloon.

Le lendemain, L’étranger se rendit au journal de la ville afin de placer une annonce dans le journal du jour:

J’organise une grande réunion

afin de vous faire part des conclusions de mon enquête

au saloon ce vendredi

Venez nombreux

 E.J.M

Le vendredi, une trentaine d’hommes se présentèrent au saloon, impatients de connaitre les conclusions de l’étranger.  Lorsqu’il eut fini d’exposer sa théorie, certains se mirent à rire. D’autres quittèrent le saloon. Quelques-uns voulurent en venir aux mains avec lui. « Tu te fous de nous, retourne à la capitale où on te pendra au premier arbre. Dehors !  » Le shérif  calma tout le monde et chacun repartit chez soi. En saluant l’étranger, il avait du mal à retenir son fou rire et attendit d’être un peu éloigné avant de laisser éclater un rire qui résonna jusqu’au fin fond du désert.

Il était tout seul maintenant. Il prit son courage à deux mains. Il prit son revolver, une lampe à pétrole et se mit à arpenter les rues de la ville. Les premières lueurs du jour commençaient à se dessiner à l’horizon, lorsqu’un bruit inhabituel le fit sursauter. Il se précipita en direction du bruit. Il se retrouva  face à lui. A une trentaine de mètre. Il le dévisageait. Il traînait derrière lui une nouvelle victime. Malgré l’obscurité encore présente il reconnut le corps de Bill Trompe la Mort. « Il avait fini par l’avoir, le salaud » pensa-t-il. Le tueur lâcha sa proie. Ses yeux rougis par la haine fixaient l’étranger. Finalement, il n’avait rien de particulier. L’enquêteur l’avait imaginé gigantesque. Il ressemblait à n’importe lequel de ses semblables. Les deux se mirent en position de duel. L’étranger rapprocha sa main de son revolver. L’autre n’était pas armé mais il s’en méfiait comme de la peste. Au premier geste il faudrait l’abattre, d’une balle. Pas le droit à l’erreur.

Le temps paru une éternité. Puis un cri se fit entendre dans la ville déserte, puis un coup de feu. Et à nouveau le silence. Prudent, l’étranger s’approcha.

 Il respirait encore. Il voulait lui dire quelque chose. Il mit ses gants pour le pas se faire blesser par les piques couvrant le dos de son adversaire. Celui ci s’était mis en boule mais on entendit ces dernières paroles: « Cette ville est trop petite pour nous deux, étranger. Tu peux me tuer, mais un autre prendra ma place. Nachave maintenant, laisse-moi mourir en paix.« 

Les habitants, alertés par le coup de feu, sortaient de leurs maisons. Il venait de rendre l’âme.

Il fut inhumer dans un endroit secret. Le lendemain, on fit une cérémonie en l’honneur du héros. Le maire prononça un discours. Les hommes s’excusèrent de ne l’avoir pas cru. « Quel est votre nom étranger? » « Ernest J. Montreuil » « Et bien, cher Monsieur, je décide, qu’à partir de ce jour, cette ville portera votre nom, en hommage à votre bravoure« . Montreuil se garda bien de raconter les dernières paroles de l’assassin. Bien qu’il promit de revenir, on ne le revit plus jamais. La ville retrouva son calme et sa tranquillité. Jusqu’au jour où un nouveau corps avec des petites marques de dents fut découvert dans le tunnel du métro entre Croix de Chavaux et Robespierre.

THE END