À la gare, j’aime souvent venir m’asseoir sur un banc le long des quais. Je ne prends jamais le train. J’aime venir observer ce qui se passe, les gens qui passent, les trains qui arrivent et qui repartent. Il y en a souvent d’ailleurs. J’ai rarement le temps de m’ennuyer. Ici, toutes sortes de personnes descendent des wagons. Des jeunes, des vieux, des couples, des enfants. C’est pareil pour les gens qui attendent pour monter. Leur seul point commun est qu’ils portent toujours un sac ou une valise. Leur vie a l’air d’être lourde à porter. Mais maintenant, il y en a beaucoup que l’on peut faire rouler. Au fil des années j’ai pu observer les progrès en la matière.

Bref.

Parfois les gens sont heureux de descendre, la plupart du temps même. Ils ont du passer du temps à regarder par la fenêtre le paysage défiler. Bien avant d’arriver le contrôleur a dû faire une annonce pour nommer le prochain arrêt. Ils ont du se préparer et récupérer leurs affaires. Peut être que les gens dans les compartiments se sont parlés et ont raconté ce qu’ils faisaient dans la vie ou alors pourquoi ils rentraient chez eux. D’autres ont du dire ce qu’ils allaient faire à Montreuil une fois arrivés. De loin on reconnait la Boissière et ses grands immeubles. On reconnait aussi les murs jaunes, bleus et tristes de l’Interco. Par contre on ne peut voir le parc car on passe en dessous pour ressortir à Mozinor la mystérieuse. Une fois le cimetière passé on entrevoit la mairie toute proche de la gare.

Les gens qui descendent cherchent souvent du regard les personnes qu’ils vont retrouver. Ceux là ont fait les cent pas dans la gare le long du quai. Parfois certains se sont assis à coté de moi sans dire un mot. Ils ont l’air pressé que le train arrive. Quand les portes du train s’ouvrent, les gens se dépêchent pour descendre leurs lourds bagages. J’aime voir leur visage s’illuminer quand ils reconnaissent des proches. Parfois des gens se prennent dans leur bras, parfois les gens pleurent. Je ne saurai jamais combien de temps ils ont été séparés. Mais le bonheur est bien là. Il y a souvent des enfants. Ils peinent à contenir leur impatience. Vont ils retrouver un Père ? une Mère ? une Grand Mère ? Généralement ce sont eux les plus démonstratifs. C’est dans ces moments là que je suis content de faire partie de la gare, pour pouvoir me souvenir de moments comme ceux là.

On trouve souvent les gens en avance sur la place de la mairie. Je les reconnais car ils ont souvent des valises. Un tour au centre commercial quand on est trop en avance, ou un café en terrasse dans le café qui fait l’angle. L’été le marchand de glace fait des affaires. La gare est un lieu de passage. De plus, il est facile de jeter un rapide coup d’œil sur l’horloge de la mairie pour ne pas oublier l’heure. Les gens en avance sont parfois accompagnés. Quand on quitte quelqu’un, c’est un peu de soi qui part aussi. Avant l’arrivée du train les gens sont souvent très proches. Ils se glissent parfois des mots à l’oreille. Ils ne parlent jamais très fort. Parfois personne ne parle, le regard dans le vide, comme s’il était déjà là. Des couples sont enlacés, une dernière fois avant…. avant je ne sais pas quand. L’hiver, il fait très froid sur les quais. En tout cas c’est l’impression que me donnent les gens qui attendent.

Je trouve toujours amusant les gens qui scrutent l’horizon pour voir si le train va arriver. C’est comme s’ils n’arrivaient pas à croire qu’ils allaient partir. Sont-ils contents de voyager ? Qui vont-ils laisser ? Qui vont-ils retrouver ? Pourquoi partent ils ? Et s’ils avaient le choix, que feraient-ils ?

Les quelques notes de musique qui résonnent avant l’annonce de l’arrivée du train font toujours battre le cœur plus vite. On s’affole, on piétine, on se prépare. Les dernières recommandations, les derniers mots, les derniers « je t’aime », « tu m’appelles quand tu es arrivé(e) ». Le bruit du train nous noie déjà dans le silence. Le long bruit des freins et déjà, les portes s’ouvrent. Les gens profitent toujours de la descente des passagers pour se dire un dernier mot. Après avoir monté les deux marches étroites, chacun tente de trouver sa place. Un peu comme dans la vie. Parfois on est libre de choisir, parfois il faut se faire une place. Certains ont réservé, ça rassure d’avoir sa place déjà à l’avance.

Quand le train redémarre, les gens sur les quais essaient de voir où est assis l’absent(e). Le bruit du train en marche doit être très désagréable car souvent des enfants se bouchent les oreilles. Les gens regardent le train partir, souvent jusqu’au silence. La plupart du temps ils ont le regard fermé. J’ai parfois surpris des yeux rougis et le bruit très caractéristique de l’ouverture des paquets de mouchoirs. Les gens qui se dirigent vers la sortie de la gare ignorent souvent qu’ils partagent cette peine intérieure. Ils sont déjà passés à autre chose. Certains prennent le métro, le bus sur la grande place, d’autres préfèrent marcher un peu. Ils sont redevenus des anonymes dans la ville, des gens sans Histoires à priori. On ne sait rien d’eux, on ne veut surtout rien savoir. Alors que, si on les voyait sortir de la gare sans valise, on apprendrait que ce sont sans doute des personnes qui viennent de voir partir quelqu’un. Peut être que l’on pourrait se sentir un peu proche d’eux.

Quant à moi, oui je suis toujours sur le banc près des quais. Le contrôleur a beau passé devant moi à longueur de journée, il n’a jamais posé les yeux sur moi. Je trouve ça un peu étrange. Mais en même temps il doit être très occupé. Je ne lui en veux pas. Personne n’est jamais venu me parler d’aussi loin que je m’en souvienne. Vous êtes bien le premier. Qui sait, peut être avons nous un point commun ?