On n’avait vraiment pas besoin d’un fouineur. Déjà que nous étions tous énervés par ce qui était arrivé à Riton. Conformément aux règles du GDV, on ne se laissait pas abattre, mais nous étions tous secoués. Et là, cet individu espionne notre AG extraordinaire !
Quand je suis entré dans le bistrot, je ne lui ai pas porté attention. Plus tard, Micheline, la patronne, nous a avertis de l’intérêt qu’il nous portait, alors on s’est méfié. Et si la famille de Riton avait envoyé une taupe ? Elle nous connaissait, tu penses, plus d’un demi-siècle d’amitié. Elle devait bien se dire qu’on ne resterait pas de marbre… et elle n’avait pas tort. On n’abandonnerait pas Riton comme ça ! Mais là, on a dû tout laisser en plan à cause de ce type.

Hervé Robert était cerné par une douzaine d’octo-nonagénaires. Le dénommé Raymond avait pris la tête du groupe et se tenait face à lui, le menaçant de sa canne.
« Qu’est-ce que tu veux au GDV ? » tonna-t-il
« Mais rien du tout » se défendit Hervé en levant les mains en guise d’apaisement.
« Qu’est-ce que tu faisais au bistrot ? On t’y a jamais vu avant ! »
« Rien de particulier, je m’y suis réfugié quand l’averse s’est mise à tomber. »
« Et pourquoi tu es resté ? Tu crois qu’on n’a pas vu tes manigances ? C’est la famille de Riton qui t’envoie ?… »
Un flot de question assaillait Hervé qui, complètement décontenancé, répondait. Non, il ne connaissait pas Riton, oui, il avait été intrigué par la réunion qui se tenait dans l’arrière salle. Tous l’écoutaient attentivement.
« Moi, je le crois » affirma la vieille dame en baskets brisant le silence qui s’était installé, après la vague déferlante de l’interrogatoire mené par Raymond. Des murmures d’assentiment la confortèrent puis tous se tournèrent vers Raymond qui ne s’était pas prononcé. La hargne dont il avait fait preuve quelques instants auparavant était partie, il semblait perdu dans ses réflexions.
« Après tout, peut-être que tu pourrais nous être utile » lâcha-t-il. Après un nouveau silence, il ajouta en direction de ses camarades « Retournons chez Micheline, on a une opération à monter et puis faut qu’on discute de son sort ». Il pointa alors de nouveau sa canne sous le nez d’Hervé. « Toi, on t’attend demain à 15h tapantes, sinon crois-moi, on saura te retrouver ».

C’est comme ça qu’a eu lieu ma première rencontre avec le GDV. Ils m’avaient un peu impressionné, tous agglutinés autour de moi et le Raymond avec sa canne et ses questions auxquelles je ne comprenais pas grand-chose. La curiosité l’avait emporté et j’étais donc revenu au bistrot le lendemain. Ils m’attendaient de pied ferme. Ils avaient disposé les tables en arc de cercle, le paperboard derrière eux était vierge de toute inscription. Je m’assis sur la chaise qu’ils m’avaient réservée face à eux. J’avais l’impression de passer un examen ou d’être devant un tribunal. Raymond siégeait au centre.
« Avec les membres du GDV, on a bien réfléchit. On a quelques questions à te poser, histoire de mieux te connaître ».
Je m’étais prêté au jeu et avais raconté mon histoire. L’animosité de la veille avait disparu.
« On pense que tu pourrais servir notre cause, finit par dire Raymond. Puisque tu nous as dit que tu as du temps libre, es-tu prêt à nous consacrer quelques heures ? »
« Qu’ai-je à perdre ? », me dis-je en moi-même. Et puis je voulais savoir ce qu’ils tramaient alors je répondis par l’affirmative.
« Reste à savoir si on peut te faire confiance. Avant de t’en dire plus, tu dois faire tes preuves. On a une mission pour toi mais tu dois t’exécuter sans poser de question »
J’opinai du chef en guise d’assentiment, ma curiosité ne faisait que croître.

Un des vieux – René, je le saurai plus tard – se leva péniblement. « Alors voilà, on a besoin de rentrer dans la maison de retraite rue Etienne Marcel mais sans éveiller les soupçons. C’est là que tu vas nous être utile. Nous, ils nous connaissent, et ils ont des consignes s’ils nous voient débarquer. Toi tu peux y aller incognito. Tu vas prendre rendez-vous avec le directeur en disant que tu cherches un établissement pour ta pauvre mère qui ne peut plus rester à son domicile. Une fois là-bas, tu demanderas à visiter les lieux. Il faudra que tu repères un certain nombre de choses».
La mamie en basket se leva à son tour et tourna la première page du paperboard, laissant apparaître une liste : horaires des repas, sortie de secours, bureau du personnel….
« C’est pour l’opération Riton ? » osais-je demander.
« On a dit pas de question, rappela Raymond, on en reparlera si tu réussis ta mission ».
Où tout cela allait me mener, je n’en avais aucune idée. Mais une fois toutes les explications données, je pris rendez-vous avec le directeur de la maison de retraite.

Quelques jours plus tard, j’étais de retour au bistrot pour leur faire part des informations récoltées lors de ma visite. Pour tout dire, cela m’avait amusé. Ils étaient avides du savoir que je leur distillais et je voyais aux regards qu’ils échangeaient que ma mission était une réussite. J’avais gagné la confiance du GDV, Gang de Vieux comme je l’appris ce jour-là. J’avais hâte d’en apprendre un peu plus sur eux et sur l’opération Riton… J’étais désormais le p’tit jeune d’une bande pas banale de vieux.