Depuis son départ à la retraite, Hervé Robert s’ennuyait. A 65 ans, il se retrouvait sans rien pour occuper ses journées. Sa femme était décédée depuis plusieurs années déjà et son fils unique vivait à l’autre bout du monde. Le temps lui semblait inexorablement long et ce n’était pas les idioties débitées par la boîte à fadaises trônant dans le salon qui pouvaient le sortir de l’ennui dans lequel il s’enlisait.

Un moment, il avait pensé fréquenter le boulodrome, avenue du Général de Gaulle, mais, loin du sud, la pétanque perdait de son charme. Tirer ou pointer, c’était décidément mieux avec l’accent.

Il avait essayé de nombreuses occupations… aucune ne l’enthousiasmait. Il promenait son ennui dans les rues de la ville comme d’autres promènent leur chien. Son errance et une averse soudaine le conduisirent un jour dans un café. Il ne s’agissait pas d’un bar branché et bruyant comme ceux qui fleurissaient un peu partout dans la rue piétonne ou rue de Paris. C’était plutôt un bistrot de quartier, où les habitués échangeaient les ragots du coin et dissertaient sur la pluie et le beau temps. Hormis la patronne derrière le zinc, le bar était désert. Il commanda un demi et s’installa à une table ronde près de la fenêtre, face à la porte d’entrée.

 A peine s’était-il installé qu’un vieil homme d’au moins 80 ans pénétra dans le bistrot.

« Salut la compagnie ! » dit-il en balançant sa canne qui ne semblait pas lui servir à grand-chose.

« Pas la peine de te presser Raymond ! Tu es le premier comme toujours. » lui lança la femme derrière le comptoir… mais déjà il avait disparu dans l’arrière salle.

Peu après, une vieille dame tout pimpante en baskets fit son entrée. Elle claqua deux bises à la patronne et se dirigea à son tour vers le fond du bistrot. De sa place, Hervé assista à un défilé de vieux, à l’énergie débordante dont la démarche parfois chancelante trahissait l’âge avancé. Éberlué, il pivota sur sa chaise pour essayer d’entrevoir l’arrière salle. Il sentit le regard de la tenancière alors qu’il se tordait le cou. Mine de rien, il attrapa le journal posé sur une table et fit semblant de se plonger dans la lecture. Il saisissait au vol des rires et des exclamations. Ça discutait sévère mais seules quelques bribes lui parvenaient. « Ordre du jour du GDV », « Opération Riton »… Que pouvaient-ils bien tramer ? Ils n’étaient visiblement pas là pour une partie de dame ou de belote.

Il se leva et voulut se diriger vers l’arrière salle.

« C’est une réunion privée » lui dit la patronne qui faisait des allers et retour pour abreuver la bande du quatrième âge.

« Je souhaite juste utiliser les toilettes »

« C’est bon, allez-y », lâcha-t-elle visiblement contrariée, « Il va y avoir du passage ! » lança-t-elle en guise d’avertissement aux vieux de l’autre côté. Quand il passa, le silence se fit instantanément. Il sentit les regards se poser sur lui et surprit les coups de coude échangés entre les membres de l’assemblée. Il entendit une feuille claquer et vit la mamie en basket rabattre prestement une feuille vierge sur un paperboard. De plus en plus étrange, se dit-il. Il salua et continua son chemin.

Lorsqu’il passa de nouveau, les vieux restèrent silencieux. Sa curiosité était piquée à vif. Il commanda un autre demi et retourna s’assoir. De l’arrière salle, il n’entendait plus que des murmures. Le dénommé Raymond passa la tête quelques instants plus tard dans l’encadrement de la porte, leurs regards se croisèrent. Sa présence dérangeait visiblement. Peu après, l’assemblée prit congé. Malgré leur âge, ils étaient tous vaillants, mais leur sortie se fit plus discrète. Leur gaité semblait désormais feinte contrairement à celle affichée quand ils étaient arrivés.

Hervé paya ses consommations et se dirigea à son tour vers la sortie. Il remontait tranquillement la rue, mais se sentait comme surveillé. Se retournant, il vit qu’un vieux en fauteuil présent à la réunion le suivait. Au croisement suivant, la mamie en basket lui colla aux talons. Passant devant une ruelle, il  se sentit attrapé à la jambe. Baissant les yeux, il aperçut une canne. Le vieux en fauteuil le poussait dans l’impasse et Hervé se retrouva entouré de l’ensemble des vieux du café.

« Qu’est-ce que tu veux au GDV ?  » dit Raymond. Tous les regards étaient tournés vers lui …

                                               A suivre.