Dans le salon vide, le son des fourchettes cognant sur l’assiette raisonnait tristement contre les murs. Tous les deux regardaient, en mâchant, leur probable dernier repas ensemble dans cet appartement. Sans se l’avouer, ils se disaient, chacun de leur côté, que c’était peut-être leur dernier repas ensemble tout court. Ils n’avaient pas eu l’opportunité de choisir leur menu. Dans le frigo que l’on allait débrancher avant de se coucher, il ne restait qu’un paquet de saucisses, acheté il y a quelques semaines dans une supérette du quartier.

Ils s’étaient étonnés du prix mais qui s’étonne encore des prix pratiqués dans les magasins parisiens ? Par chance, ce dernier soir, il y avait également deux fonds de paquets de pâtes. Elles étaient différentes mais avaient, comme par miracle, le même temps de cuisson. On les noya douze minutes dans la dernière casserole échappée des cartons. Dans le salon, il restait une table et deux chaises. « Tu penseras à appeler EDF pour arrêter les prélèvements? » « Je passerai à l’agence demain pour déposer les clés. Tu n’as qu’à déposer les tiennes sur la table ». « J’y vais. Bonne soirée ».

Dans la chambre, le matelas au sol faisait office de mobilier et un duvet remplaça la chaleur d’une grande couette. Il décida de ne pas fermer les volets cette nuit là. Sur le boulevard, les phares des voitures éclairaient de façon intermittente le plafond blanc. Malgré la fraîcheur, il entrouvrit la fenêtre et, immédiatement, des flots de moteur à l’arrêt, de klaxons et de cris lointains se firent entendre. L’arrondissement a beau être décrit comme plutôt calme, il règne toujours à Paris une certaine agitation.

Il n’avait rien à faire ce soir là. Ou plutôt rien envie de faire. Il décida de s’allonger sur son matelas. Il contempla le plafond un long moment. Demain, il mettra le reste des affaires dans sa voiture. Il déposera les clés dans la boite aux lettres de l’agence. Puis il s’en ira chez des amis pendant quelques temps comme il était prévu. Sur le plafond, les lumières éclairaient de droite à gauche. Il compta environ quatre secondes entre chaque voiture. Parfois le rythme s’accélérait ou ralentissait. Parfois on entendait des pneus crisser. Il essayait d’entendre s’il n’y avait pas eu un accident. Après un cours silence, le ballet des voitures reprenait toujours.

Il savait très bien que son ami ne le laisserait jamais tomber. Mais il n’avait pas envie de dormir tout le reste de sa vie sur un canapé qui n’était pas le sien. Il devait trouver une solution. Pendant des années, il n’avait pas vraiment réfléchi à son avenir. Il lui semblait tout tracé. Pas tant que ça finalement. Mais il s’en fichait. Maintenant, dès ce soir, il se dit qu’il devait prendre un nouveau départ.

Dans sa tête, il commença à faire la liste des choses qu’il n’avait jamais faites. Pendant des années, il avait souhaité apprendre à jouer de la guitare. Mais faute de temps et d’argent, il n’avait jamais pris de cours. Il avait toujours regretté de ne pas avoir commencé plus jeune, lui le fan de reggae et de Hip Hop. Il se disait qu’il devrait vivre à côté d’un endroit où il pourrait prendre des cours de guitare et pourquoi pas répéter avec un groupe. Cette nouvelle vie qui s’offrait à lui, même dans la douleur, lui permettait de  repartir à zéro. Il décida de consacrer plus de temps à la musique. Après s’être promis de se mettre à la guitare, il se dit qu’il devrait aller à la rencontre de musiciens. Il pensa que ça serait bien de vivre dans une ville où il suffit de se promener trouver des concerts dans des cafés ou au dehors.

Depuis quelques années, il avait vu son quartier changer. Des nouvelles enseignes, des nouveaux magasins étaient apparus. Un primeur, un fromager, un bar tendance à la décoration parait-il moderne…. Il trouvait tout ça bizarre. Il y était allé voir une fois mais il n’avait pas été convaincu. Après quelques mois, il avait remarqué que la population dans sa rue avait changé. Il trouvait cela un peu dommage. Et puis, décidément tous ces nouveaux commerces, il ne s’y retrouvait pas. Il se dit alors qu’il aimerait habiter un endroit où il y aurait des grands marchés, où il pourrait trouver toute sorte de produits. Il aimerait aussi habiter un quartier où il pourrait boire un café tranquillement. Pas un café à trois euros comme il a pu le voir dans certains quartiers de la capitale.

Il allait devoir se trouver un nouveau logement. Cela faisait plusieurs semaines qu’il scrutait les annonces sur son téléphone. Il cherchait à Paris. Plus particulièrement dans l’Est car il travaillait dans ce secteur et les prix semblaient y être plus abordables. Toutefois, avec son salaire, il s’était rendu compte que non seulement ça ne serait pas facile de trouver un logement et que si, par miracle il en trouvait un, il ne se faisait pas d’illusion sur le taille de celui-ci.

Il se sentait courageux ce soir là. La perspective de remettre à plat beaucoup de choses dans sa vie lui donnait des ailes. Il prit son téléphone. Il ouvrit son application immobilière favorite. Dans la barre de recherche, il ajouta la Seine-Saint-Denis comme lieu de recherche. Il regarda sur un plan les villes limitrophes où il y avait le métro. Comme il travaillait sur la ligne 9, il mit son doigt sur la station où il descendait tous les matins. Il le fit glisser jusqu’au bout de la ligne, à droite. Il décida d’y aller demain, une fois qu’il aurait déposé les clés à l’agence. On ne sait jamais. Parfois il faut parfois prendre des risques.