Il n’avait pas l’habitude d’être loin de chez lui. Mais après tout, cela n’allait durer qu’une petite semaine. L’hôtel n’était pas si mal. Sa chambre donnait directement sur le rond-point du périphérique. Il y avait plusieurs restaurants dans le centre commercial juste en bas. Sa formation finissait tout les soirs à 17h. Il se disait que c’était l’occasion de faire un peu de tourisme en soirée. Ce n’est pas tous les jours que l’on passe du temps à Paris. Et encore, « à Paris », il faut le dire vite car il se sent vraiment à l’extrémité de la capitale. La ville limitrophe parait animée. Peut être un peu trop pour lui. A quoi ressemble une ville de banlieue la nuit ? Où débouche ce long couloir sombre ? Le dernier jour, la formation s’est finie à midi. Son train était à 19h. Alors il décida d’aller marcher sur cette longue avenue.

Il savait qu’au pire, il pourrait faire demi-tour s’il ne trouvait rien d’intéressant à voir. Il regarda le panneau où était inscrit le nom de la ville. Il leva les yeux. D’un coté il vit le centre commercial avec tous ses néons. De l’autre, l’immeuble en brique paraissait plus austère. Il prit une photo, lui qui n’en prenait jamais d’habitude.

Le boulevard se trouvait en face de lui. Il s’élança dans ce curieux couloir étroit, où les voitures sont souvent mal garées et l’on traverse n’importe comment. Il marchait un peu au hasard, le nez en l’air. Sans faire exprès il bouscula une passante. Surprise, elle laissa tomber un gros livre. Confus, il s’excusa du mieux qu’il put. La passante le rassura en acceptant ses excuses. Elle aussi paraissait être dans ses pensées. Il se mit à genoux pour ramasser le gros livre. C’était un guide de voyage sur le Canada. Pendant qu’elle le rangeait dans son sac, elle lui expliqua qu’elle allait bientôt partir là-bas avec son ami. Elle avait l’air plein d’enthousiasme. Il sourit en écoutant son histoire. Il lui souhaita bonne chance et continua sa route.

Un peu plus loin il croisa un homme qui marchait à l’envers. Il regardait sans cesse sa montre. Il semblait parler seul. « Je vais prendre mon petit déjeuner ». L’étranger trouvait cela bizarre car il était déjà midi passé. Il sourit. Visiblement cette ville réservait pas mal de surprises.

En continuant sa route, il vit un homme pressé une valise à la main. Son visage était assez inexpressif. Il regardait sa montre. Visiblement il était en retard et semblait quitter la ville. Il devait attendre un taxi. Il sortit de sa poche une enveloppe dont il tira une feuille délicatement pliée. Il jeta un dernier coup d’œil puis regarda le ciel. Il souffla et rangea le document dans la poche intérieure de sa veste. C’était visiblement une mauvaise nouvelle. Un taxi arriva au moment où il dépassa l’homme avec la valise. Sans se retourner il l’entendit demander à se rendre à l’aéroport.

Vers le métro Robespierre, il se fit presque bousculer par un homme en costume. Il regardait par terre, comme hypnotisé par une lumière au sol qui le guidait. L’étranger pensa qu’il devait tous les jours suivre le même chemin tellement il semblait agir comme un robot. Il se dit qu’il avait bien fait, lui, pour une fois, de se jeter le long de cette avenue incertaine. Qui sait ce qu’il pourrait encore observer ?

Il arriva ensuite à la place du marché. Il fit le tour rapidement. Il s’arrêta pour photographier quelques graffitis qu’il trouvait plutôt jolis pour une fois. Il n’arrivait pas vraiment à lire ce qui était écrit. Il réussit à lire AZROCK. Il ne savait pas qui il était mais promit de faire des recherches une fois rentré chez lui. Alors qu’il photographiait la place, un homme attira son regard. Il se tenait derrière la vitre d’une laverie à quelques dizaines de mètres de là. Il regardait la vie autour de lui. Il semblait sorti de nulle part. Son image fantomatique avait presque quelque chose de touchant. C’était comme s’il allait rester dans la laverie pour le reste de sa vie.

L’étranger continua ensuite sa route vers la mairie. Comme il avait déjà marché longuement, il s’assit sur un banc. Il vit passer devant lui un homme sans âge, accompagné d’une jolie femme habillée comme dans les années 60. Elle était assez pâle et portait des vêtements monochromes. Elle tenait la main de l’homme sans âge. Dans son autre main, elle tenait une rose. C’était un couple un peu étrange. Un autre homme paraissait lui aussi très étrange. Il semblait suivre une femme qui portait une mallette en métal. Il épiait ses moindres faits et gestes. Il semblait à la fois craintif et totalement fasciné. L’étranger pensait qu’il allait peut être s’adresser à elle mais il n’en fit rien.

L’étranger observait la scène. Tout d’un coup, il entendit une femme parler dans des haut-parleurs. Elle annonçait l’arrêt imminent d’un train. En entendant cela, des passants pressés apparurent comme par magie. Ils tiraient des valises à roulettes ou portaient des grands sacs à dos. Ils se précipitaient vers le quai de la gare. Il n’avait pas remarqué qu’il y avait une gare à proximité. Intrigué, il entra dans le hall puis traversa la grande porte pour se retrouver sur le quai. Il s’assit sur un banc un peu isolé. Il observait ce qui se passait. Le train arriva puis repartit. « Encore un voyage qui commence » entendit-il derrière lui. Il se retourna mais ne vit personne. Il n’y avait d’ailleurs plus personne sur le quai. Alors il décida de continuer sa route.

Comme il commençait à avoir faim, il se mit en quête d’un endroit où manger. Il décida de s’arrêter dans un petit restaurant indien. Il avait besoin de se reposer quelques instants alors il monta à l’étage. Il commanda un sandwich nan fromage au poulet. Il trouva  le sandwich délicieux. Alors qu’il mangeait à l’étage, il observait les gens qui sortaient du métro. Le soleil commençait à descendre dans le ciel rouge. Il avait encore de la route, alors il reprit son chemin vers le nord.

En passant près d’une église il croisa trois jeunes personnes. Deux garçons et une fille. Ils semblaient avoir fêté quelque chose car ils avaient l’air particulièrement joyeux. Un des garçons sortit son téléphone portable pour prendre la place en photo. Visiblement il voulait impressionner la fille car il n’arrêtait pas de lui parler. L’étranger, amusé, regardait la scène lorsque soudain l’apprenti photographe perdit son équilibre et chuta dans le massif de fleurs. Il ne put s’empêcher de rire en regardant la scène. Puis il reprit son chemin.

Le vent s’était levé. Il emmenait avec lui du sable dans des tourbillons fascinants. Il mit alors son écharpe devant sa bouche pour se protéger. En remontant la rue il vit un cheval attaché à une barrière en bois. Il leva la tête et aperçut un homme entrer dans ce qui lui semblait être le bureau du shérif. Un homme pas très causant se tenait sur le pas de la porte. Il cracha dans un récipient au dehors et fit un signe de la tête à l’homme qui venait d’entrer. Comme la tempête de sable semblait redoubler il décida de continuer sa route afin de trouver un abri.

Après quelques centaines de mètres il se trouva à l’entrée d’un parc. La tempête était passée. L’entrée du parc était fleurie. Le parc était vallonné et boisé. On y trouvait des coureurs à pieds, des couples, des enfants en vélo. Une fillette en vélo manqua de lui foncer dessus. Sa mère quelques mètres derrière vint s’excuser. L’étranger répondit en rigolant que ce n’était rien. Le petit deuxième, les yeux bleus, jouait avec ses dinosaures. Il avait sur la tête sa casquette favorite qu’il portait la plupart du temps. L’étranger s’arrêta quelques instants devant le landau. « Il s’appelle Arthur » dit la maman. Après avoir échangé quelques mots il continua sa route.

Le hasard le guida devant un bar. Il regarda la devanture et les gens en terrasse. Puis il se décida à entrer. Une musique aux accents jazz et reggae s’échappait d’un vieux tourne- disque. Il se présenta au comptoir afin de commander à boire.  » Comment s’appelle le groupe que l’on écoute ? » « C’est Jim Murple Memorial, ils sont d’ici ». Il prit sa bière et vint s’asseoir à une des tables. Un groupe de rock prenait place à la table à coté de lui. Il était question d’un concert à programmer à La Comédia. Sur la table en face se trouvait un jeune couple. Le garçon essayait d’apprendre les règles du jeu d’échec à la fille mais sans réel succès. Quelques minutes plus tard il les vit tous les deux en train de jouer au babyfoot.

L’étranger était toujours assis dans un coin. Ses pensées étaient comme du coton. Il repensait à sa folle journée. Il savait qu’il avait oublié l’heure de son train. Il essaya de se souvenir  de tous les personnes étranges qu’ils avaient croisé dans la journée. Ces souvenirs lui paraissaient être des rêves éveillés, ou alors des réalités endormies. Il ne savait plus trop. Cette ville paraissait bien étrange, bien plus étrange qu’il n’aurait pu imaginer. Que faire maintenant? Courir à la gare ? Prendre un autre billet de train? Ou devenir lui même un personnage fantastique ? Il réfléchit quelques instants. Il sortit du bar et remonta le col de son manteau. Il ne souhaitait pas retourner à sa vie d’avant. Il décida de parcourir les rues de la ville, nuit et jour s’il le faut, jusqu’à ce qu’il devienne lui aussi le héros d’une histoire un peu étrange. Il prit à droite. Puis en haut de la rue, il prit à gauche et disparut dans la nuit.