Il avait toujours cru en l’existence d’une vie au-delà de la couche d’ozone. Il imaginait des êtres hostiles, qui viendraient envahir la planète. Tout n’était qu’une question de temps pensait-il.

Il passait pour un fantaisiste voire un illuminé auprès de tous ceux à qui il exposait ses théories mais peu lui importait. Lui serait prêt quand ils débarqueraient sur terre. Il avait transformé son abri de jardin en véritable bunker, haut lieu de résistance contre l’envahisseur. Il était à l’affût mais aucun indice ne s’était présenté à lui… Jusque-là tout du moins.

D’abord, il y avait eu une banale panne d’électricité. La rue entière avait été plongée dans l’obscurité deux nuits durant. Il s’était présenté à la mairie pour signaler le problème. Le réceptionniste n’était guère étonné, les incidents étaient fréquents car le réseau était vétuste.

Quelques jours plus tard, le courant était rétabli dans sa rue. Mais peu après, c’était à quelques artères de là que les habitants furent contraints de chercher à tâtons la serrure de leur maison pour y engager la clef.

« Le réseau est vraiment en piteux état ! » se dit-il. Ce constat était corroboré par les faits. Les agents municipaux intervenaient dans tous les coins de la ville mais à peine leurs réparations étaient-elle terminées que ça lâchait ailleurs comme dans la plomberie d’une vieille bâtisse que l’on s’acharne en vain à rafistoler.

Un jour, en se promenant près de la place Jean Jaurès, il tomba nez-à-nez avec une colonne lumineuse, plantée dans le trottoir à l’entrée de la rue de l’Église. Il regarda autour de lui mais rien n’indiquait de quoi il s’agissait. D’autres passants levaient comme lui un regard intrigué sur ce gigantesque mât. Sans savoir pourquoi, il frissonna… et passa son chemin.

A mesure que les jours et les semaines passaient, il se rendit compte que des poteaux identiques avaient été installés un peu partout dans la ville. A quoi pouvaient-ils servir ?

Il reçut la réponse dans sa boite aux lettres. Le journal municipal annonçait en première page un vaste programme de réhabilitation de l’éclairage public. D’ici à 2019, 40 mâts lumineux annonceraient la rénovation qui s’étalerait sur 10 ans.

Il connaissait désormais la réponse à sa question mais quelque chose le dérangeait sans qu’il n’arrive à savoir quoi exactement.

La révélation vint quelques temps après. Un article du Parisien titrait « des OVNI lumineux dans les rues de Montreuil »*. A peine eût-il lu ces mots qu’il eut la certitude d’un débarquement prochain. Ils allaient arriver.

 Il comprenait tout à présent : les pannes à répétition, les poteaux lumineux aux soi-disant couleurs des quartiers de la ville. Les envahisseurs avaient monté un stratagème ingénieux. Ils avaient  probablement déjà infiltré les services de la ville pour prendre leurs repères et préparer le grand jour. Le moment venu, l’ensemble de la ville serait plongée dans le noir et les mâts lumineux serviraient de guide.

Il était hors de question de se laisser faire. Il fallait agir. Dans un premier temps, il essaya de convaincre les gens autour de lui. Certains allaient mollement dans son sens, guère convaincus, d’autres se détournaient préférant faire les autruches plutôt que de lutter, enfin c’est ce qu’il croyait mais il y avait pire encore : ceux qui le traitaient de fou.

Il songea un moment à informer la mairie ou à se présenter au commissariat mais cela aurait été comme se jeter dans la gueule du loup alors, il préféra renoncer à avertir les autorités et se prépara seul dans son coin. Il se munit d’un groupe électrogène, compléta son stock de vivres et d’eau.

Ses voisins le voyaient s’affairer avec amusement. « Qu’ils rient, soupirait-il en lui-même. Ils préfèrent ignorer ce qui va leur tomber dessus. J’aurai essayé de les prévenir mais bientôt il sera trop tard ! »

Ayant rassemblé tout ce dont il pensait avoir besoin, il décida de procéder à une inspection générale de son matériel en conditions réelles c’est-à-dire dans le noir. Il pénétra dans son bunker et referma la lourde porte derrière lui.

Parce qu’il faisait noir, il ne vit pas qu’un câble de son groupe électrogène était débranché et traînait par terre. Quand il essaya de démarrer le groupe cela ne fonctionna pas. Il trouva à tâtons l’origine de la panne, attrapa le câble au sol mais toujours à cause de l’obscurité ne vit pas que celui-ci était tombé dans la flaque qui s’était constituée suite la fuite d’une des bouteilles stockées dans le bunker. Il brancha le câble.

L’électrocution ne se fit pas attendre, ne lui laissant même pas le temps de penser que ses ennemis l’avaient repéré et mis hors d’état de nuire.

* Le Parisien, 5 janvier 2018