Fred Alpi, le chanteur des Angry Cats, vient de publier  » Cinq ans de Métro  » un roman à caractère autobiographique inspiré de son expérience de chanteur dans le métro parisien. Fred Alpi va faire faire plusieurs lectures-concerts dans les mois à venir. La première aura lieu le lundi 30 avril, à la Parole Errante. Un lieu qu’il connait pour y avoir mis le feu en octobre 2017. 5 années dans le métro, un livre et une interview.

 » Bonjour, et bienvenue  Fred. » Je reprends votre formule, quand vous vous invitiez dans les wagons. Nous remontons le temps ensemble. Nous sommes fin 80 début 90, vous avez 27 ans, de retour de Berlin, comment vous vous êtes retrouvé à chanter dans le métro ?

Je suis d’abord allé chanter dans le métro pour tester ma voix et ma capacité à jouer dans un cadre différent de celui des concerts, où j’étais habitué à monter sur scène jusque-là. J’ai d’abord envisagé cela comme une expérience, un apprentissage, car je n’étais pas vraiment chanteur jusque-là, mais surtout bassiste.

Tout commence forcément à Châtelet-les-Halles…

Oui, je voulais chanter sur la ligne 1, pensant que c’était une bonne idée puisque que j’y voyais souvent des musiciennes et des musiciens. J’habitais à proximité de la station Châtelet à l’époque, d’où mon choix d’y entrer par là, tout simplement.

Vous n’étiez pas dans les meilleures conditions pour exprimer votre art. Vous évoquez d’ailleurs dans votre livre  » L’impression de me jeter volontairement dans un précipice « . Qu’est ce que cela fait de jouer dans le métro ?

Quand on fait un concert, on est sur une scène, souvent en compagnie d’amis, et devant un public qui est venu pour écouter de la musique, et parfois la vôtre en particulier. Dans le métro, personne ne vous attend, vous savez que vous allez devoir imposer votre présence à un public qui ne l’a pas sollicitée, et qui sera d’autant plus critique. Et puis vous êtes à quelques centimètres d’eux. C’était très impressionnant d’aller chanter la première fois.

La première chanson, Jacques Dutronc, choix naturel  ?

J’étais bassiste, et je jouais très sommairement de la guitare jusque-là. J’ai écouté et redécouvert beaucoup de chansons francophones lorsque j’habitais à Berlin, et essayé d’en jouer quelques-unes. Paris s’éveille, de Jacques Dutronc, était particulièrement accessible à mon niveau de l’époque, outre le fait que j’apprécie sa dynamique et son regard un peu désuet sur Paris au petit matin.

Le métro a été pour vous finalement un révélateur, un véritable apprentissage de la liberté, un choix de philosophie de vie ?

Oui, et c’était très inattendu, car je ne m’étais pas imaginé pouvoir m’y retrouver à chanter presque tous les jours, et en faire mon métier. Ça m’a permis de comprendre la place essentielle que je voulais véritablement accorder à la musique dans ma vie. À l’approche de la trentaine, ce sont des choix de vie assez radicaux qu’il faut opérer si on veut que la musique soit autre chose qu’un loisir, et cela implique d’avoir le plus de liberté possible en termes de temps. D’où mon rapport intime avec la liberté, essentielle pour vivre par et pour la musique, et ainsi devenir celui que j’ai envie d’être.

Vous avez fait des rencontre marquantes, reçu des cadeaux inattendus… 

Chanter dans le métro m’a effectivement donné l’occasion de faire des rencontres et d’avoir des échanges avec des personnes avec lesquelles je n’en aurais sans doute pas eu dans d’autres circonstances, que ce soient des voyageuses et des voyageurs, ou des sans-abri, très nombreux dans le métro à l’époque où se déroule le récit. Et cela a mené à des situations très inattendues, drôles, tristes, et parfois particulièrement incongrues.

Vous revenez également dans  » Cinq ans de métro  » sur l’actualité, la politique avec parfois des tacles bien appuyés…

Je me suis toujours senti concerné par la façon dont la société dans laquelle je vis fonctionne, et donc par la politique. Le fait d’avoir quitté la France au début des années 80 puis habité plusieurs années à Bruxelles puis à Berlin avant de m’installer à Paris a aiguisé mon regard critique sur ce qui était en train de s’y passer. Et notamment la mise en place de la doxa néolibérale, et son corolaire, l’idéologie sécuritaire et identitaire. Tout ce que nous voyons s’opérer sous nos yeux aujourd’hui venait de prendre naissance lorsque démarre le récit, au début des années 90.

Vous écrivez  » La fête de la Musique, c’est la sœur jumelle de la Journée pour les droits des femmes  » et revenez souvent sur la place des femmes. Explications…

Les cauchemardesques années 80 ont été celles où la classe politique, qu’elle soit sociale-démocrate ou conservatrice, a érigé la publicité, la frime et l’événementiel en programme politique. Aujourd’hui s’y ajoute le cynisme assumé. La forme primant sur le fond, on fait du bruit médiatique pendant un temps très court sur un concept qui semble moral ou enviable, comme les droits des femmes ou la musique, alors que dans le même temps rien n’est fait pour les soutenir pendant le reste de l’année. On parle de Greenwashing, de Pinkwashing, mais on pourrait ajouter Feministwashing et Culturewashing. Ou en français, alibi vert, rose, féministe ou culturel.

Vous avez une histoire avec notre ligne de métro, la 9, Pont de Sèvres – Mairie de Montreuil. Vous nous racontez…
La ligne 9 n’a pas été celle que j’ai le plus assidûment fréquentée, tout simplement parce qu’à l’époque, les rames n’étaient pas encore équipées de pneus en caoutchouc, et elle était extrêmement bruyante. Il fallait donc y hurler plus qu’ailleurs pour s’y faire entendre, douloureux pour les cordes vocales.

Je vous cite : « Le fait d’entendre quelques chansons peut également contribuer à transformer complètement l’atmosphère qui règne dans un wagon ». Une anecdote ?

Plus qu’une qu’une anecdote, c’est ce à quoi j’ai assisté tous les jours. L’ambiance d’un wagon de métro rappelle celle d’une salle d’attente, où chacune et chacun est isolé, et peut donner l’impression de faire la gueule. Une ou deux chansons peuvent faire naître des sourires sur pratiquement tous les visages, et cela illumine tout un wagon. C’est une des raisons pour lesquelles la lutte que la RATP mène contre les musiciennes et musiciens dans les wagons est absurde. Même si ce n’est pas toujours de qualité, c’est plutôt un facteur d’apaisement.

Les grèves de 1995 ont accéléré votre début de carrière…

Oui, en quelque sorte, car il a fallu que je réfléchisse à d’autres moyens de subsistance. Mais c’était de toutes façons le moment de quitter le métro afin de travailler sur mon propre répertoire. Le métro n’est pas le lieu pour cela.

Que vous reste-t-il de ces années ? 

Je suis arrivé à Paris en 89, mais j’ai commencé à chanter dans le métro en 1991. D’où les cinq ans du titre. C’est allé très vite, et il s’est d’ailleurs passé beaucoup d’autres choses à cette époque dans ma vie, mais c’est une autre histoire…

Fred Alpi, je vous propose un truc, comme pour le trio dans votre livre, nous prenons la 9 jusqu’à République, vous chantez, je passe avec le chapeau…

Non, désolé, je ne souhaite pas revenir dans le métro juste comme ça. Je sais que je n’y retrouverais pas les sensations de l’époque, et il faudrait beaucoup plus de temps pour en redécouvrir de nouvelles. J’ai aimé chaque jour que j’ai passé à chanter dans le métro, je ne voudrais pas risquer d’avoir une impression qui ne serait pas à la hauteur, car les circonstances sont très différentes qu’à l’époque. Et pas forcément meilleures, hélas.

Quand avez-vous écrit ce livre et pourquoi ?

Ça fait plus de vingt ans que je pense à écrire ce livre, qui m’a demandé cinq années de travail. J’avais envie de raconter ce que j’avais vécu, mais sous forme romancée afin d’aller au-delà d’une suite d’anecdotes, en mettant plus de sens au propos, un peu à la façon d’une initiation. C’est en ce sens que c’est un roman d’apprentissage, et pas une autobiographie.

Fred Alpi merci. Rendez-vous lundi à la Parole Errante pour vous voir sur scène interpréter des chansons composées et enregistrées spécialement autour du livre.

Merci à vous, et au lundi 30 avril donc !

Propos recueillis par

Christophe Barette

photos Jean Fabien et Christophe Barette ©

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