C’était encore un matin où il était complètement écrasé dans le métro. Depuis la fin de la guerre contre les machines, les gens qui s’étaient réfugiés dans le haut de la ville avaient décidé de s’installer ici. La vie avait repris son cours. On avait vite reconstruit les bâtiments, les magasins et les transports publics. L’économie commençait à repartir. Les sages avaient encouragé la population à investir leur argent dans les entreprises afin de créer de l’emploi. Grâce a cette mesure il avait pu trouver un poste de préparateur commande chez une grande entreprise de e-commerce. Tous les matins, il tentait de se frayer un passage parmi la foule pour accéder au quai. Heureusement que son lieu de travail se trouvait à quelques stations car il supportait difficilement les mouvements de foule.

Parfois, en remontant le grand boulevard le menant à son domicile, il lui revenait des images des jours qui avaient suivi la grande victoire. Il se rappelait de la liesse populaire et des drapeaux de la confrérie humaine que l’on voyait partout. Après quelques mois, les ruines avaient été déblayées et on avait reconstruit à l’identique les différentes boutiques. C’était comme si rien ne s’était passé. C’était le souhait du conseil des anciens.

Arrivé à mi-chemin, il s’aperçut qu’une nouvelle enseigne avait fait son apparition. En lettres rouges au-dessus de la porte était inscrit  » Random Life Corporation« .  Il traversa la rue pour se rapprocher de la vitrine. A l’intérieur se trouvait de grands canapés disposés en cercle avec une table ronde au milieu. Dans un coin, des grandes plantes entouraient une fontaine à eau. Au fond il distingua deux grandes portes battantes. Lorsqu’un des membres du personnel les poussa il aperçut  des grands caissons semblables à des cabines de bronzage.

 » Entrez cher monsieur, on ne mord pas. » Il tourna la tête et vit sur le pas de la porte un homme en blouse blanche. Il portait également une chemise bleue avec une cravate noire nouée à la perfection. L’homme élancé avait l’air jeune pour un docteur. Il tenait un grande tasse à café qu’il buvait tranquillement par petites gorgées.

 » Nous venons d’ouvrir notre première boutique dans votre ville. Depuis ce matin, tous les passants s’arrêtent pour regarder à l’intérieur. Peu de personnes osent rentrer. Vous sentez-vous le courage de braver l’inconnu ? « 

Comme il n’était pas homme à reculer face aux dangers, il entra avec détermination dans la boutique. L’homme élancé lui suivit le pas. « Installez-vous sur l’un de nos canapés« . L’entretien dura une heure. En remontant jusqu’à son domicile, il essayait de se remémorer les points les plus importants de son rendez-vous. Il avait posé beaucoup de questions. L’idée lui avait paru totalement folle au départ. Maintenant qu’il allait arriver chez lui pour réchauffer au micro-onde ses lasagnes au goût douteux, il se dit qu’il avait envie de tenter l’expérience.

Il reçut rapidement une date de rendez-vous après avoir envoyé un email. L’heure approchait, il réussit à sortir plus tôt du travail. Il patienta quelques minutes sur l’un des canapés. L’homme élancé vint le chercher afin de discuter dans son bureau. Après avoir signé quelques documents administratifs, il lui rappela les dernières consignes avant de se rendre vers la salle des caissons. Une fois le briefing terminé, ils entrèrent dans la grande salle où un des caissons avait été préparé pour lui. Il posa ses affaires à l’endroit prévu. Il s’allongea.  » Rappelez-vous, ce n’est pas la réalité.  » La porte du caisson se ferma automatiquement dans un mouvement lent. Puis, ce fut le silence.

 » Bonjour, voici les menus. » Quelques minutes passèrent. « Avez-vous choisi ? Puis-je prendre les commandes ?  » C’était un samedi midi dans le bar à côté du marché. Il fallait se presser. Les clients s’étaient installés dans la salle du fond. Certains commentaient les différentes pochettes d’album collées sur les murs.

Il était très occupé mais il avait l’habitude de s’occuper du service en salle. C’était comme s’il avait fait cela toute sa vie. Il se disait en lui même :  » c’est incroyable, on s’y croirait vraiment. J’ai l’impression que tout est réel, les objets, les gens. J’arrive à retenir les commandes de toute une table alors que je n’arrive même pas à retenir la date d’anniversaire de mes nièces.« 

Au bout d’un certain temps, il commençait à se lasser de courir après les commandes. Il se rappela alors de la manipulation à faire pour tester une nouvelle vie. Il suffisait de laisser le doigt appuyé sur la tempe à l’endroit où avait été inséré un implant électronique. Dans les quelques secondes qui allait suivre, une nouvelle vie allait s’ouvrir à lui.

Sur l’escalator le remontant de la station de la mairie, il tentait de garder son équilibre. La soirée avait été bien arrosée. Il savait qu’à cette heure-ci le 129 avait fini son service. Il connaissait par cœur le trajet pour remonter à la Boissière. Il pensait dans sa tête :  » Si au moins les travaux de prolongation de la ligne 11 n’avaient pas été stoppés il y a 25 ans, je serais déjà chez moi. » Il fallait passer le commissariat puis l’étrange rond-point un peu mal fichu. Il tentait de marcher droit. De toute façon à cette heure ci, dans les rues, il n’y avait que les gens qui rentraient dans le haut. Sept chemins, puis le pont du tramway. Encore 10 min et il sera en haut de la colline. Il commençait à avancer péniblement. Il avait passé le square et arrivait près de l’école. Il avait envie de découvrir l’appartement où il habitait et ne souhaitait pas, encore, laisser le hasard décider de quel habitant de la ville il allait tester la vie.

Il tenta d’accélérer le pas. Alors qu’il passait sous la rangée d’arbres, son pied glissa dans un trou entourant un des troncs. Ses réflexes étant amoindris par la longue soirée qu’il venait de passer, il ne put s’empêcher de tomber de tout son long. Lors de sa chute, il se cogna violemment la tête sur le tronc d’arbre. Alors qu’il reprenait peu à peu ses esprits, il se mit à rire tout seul même si sa tête le faisait un peu souffrir. Il décida qu’il en avait marre de marcher. Tant pis pour la visite de l’appartement, il appuya son doigt sur la tempe en riant. Il attendu un moment. Il arrêta de rire. Il recommença. Rien ne se produisit.

( A suivre)