Au dernier étage de la Tour ALTAÏS, le conseil s’était réuni pour prendre une ultime décision. Il y avait été un peu forcé. Même si la résistance avait gagné quelques batailles, elle ne pouvait vaincre de telles machines. Il fallait foncer, ils le savaient tous très bien. Au bout de la table, le Doyen se leva. Ses mots étaient précis et pesés. Sa voix ne tremblait pas. A la fin d’un bref discours, tous frappèrent du poing sur la table pendant de longues minutes en signe d’approbation. Le grand jour était prévu pour demain.

Chronologie des événements:

2013: début des enquêtes publiques sur la prolongation de la ligne 11

2014: Déclaration du projet des travaux

2017: Début des travaux en sous-sol

2019: Découverte d’un vaisseau spatial d’origine inconnue sous le Fort de Rosny

2020: Mise au point d’une nouvelle technologie robotique à partir des restes du vaisseau spatial

2021: Construction et mise en service de 300 robots dans les galeries pour accélérer les travaux

2024: Premières vagues de révolte des robots constructeurs (appelés aussi « Humanoïde  »)

          Mise à jour du système d’exploitation des humanoïdes

          Désactivation des robots leaders

2026: Deuxième vague de révolte des robots menant à la déclaration conjointe entre humains et humanoïdes, dite « Loi H/H »

2028: Coup d’état humanoïdes et instauration de « l’Ordre 66 ».

          Construction du mur autour de la ville

          Instauration du couvre-feu

Ramis se tenait au sommet de la grue. C’était son endroit préféré. De là il avait une vue dégagée sur toute la ville et même au delà des murs. Le soir, il regardait le soleil se coucher. Cela faisait plusieurs mois déjà que les lumières de la capitale s’étaient éteintes et ne se rallumeraient plus jamais. Pour lui, cela n’envisageait rien de bon pour l’avenir.

Les soirs d’opération, il avait pour mission de coordonner les attaques à l’explosif du haut de sa grue. Une fois la première explosion repérée, il envoyait une fusée lumineuse dans le ciel pour donner le signal aux autres membres de l’équipe d’attaquer de nouvelles cibles. La résistance s’était organisée en équipe mobile. Les cibles étaient principalement des véhicules de construction sur lesquels patrouillaient les humanoïdes. 

Ramis se sentait bien en haut de sa grue. Même les jours où il ne participait pas aux actions de la résistance, il restait en haut une bonne partie de la journée. Il y contemplait les ruines d’un monde ancien. Il ne se séparait jamais de ses jumelles et scrutait l’horizon durant de longues heures.

A gauche, en peu en bas, il voyait la Mairie. L’horloge en son sommet ne fonctionnait plus. Il repensait au jour où le doyen avait signé « L’Ordre 66 » dans la salle de réception de la Mairie. Lui était présent, au fond de la salle en maudissant l’orgueil de ces satanés robots.

Un peu sur la droite, il voyait le Méliès. Sur la grande place, les arbres avaient été arrachés ou brûlés. Seule, au milieu, une petite camionnette blanche était restée debout. Elle était cabossée mais avait résisté aux grenades envoyées par les robots.

Un peu plus au sud, le rond point ovale semblait désert. Depuis la défaite des humains, aucune voiture et aucun bus ne circulaient. Au centre de la place, il voyait dans ses jumelles quelques tentes et, certains soirs, il lui semblait apercevoir un petit groupe d’amis réuni autour d’un feu comme si la vie avait suivi son cours.

Au nord est, Ramis surveillait aussi le plateau des Beaumonts, Il se remémorait souvent les samedis ensoleillés. Il se rappelait l’odeur du gazon coupé et la fraicheur qui se dégageait des arbres à la tombée de la nuit. Il repensait souvent à cette femme enceinte assise sur un banc. Autour d’elle ses deux enfants jouaient sur la pelouse. Il les croisait souvent les samedis après-midi. Qu’avaient ils pu devenir ? La dernière fois qu’il les avait vus c’était peu avant la fermeture définitive des portes. Ils se tenaient dans la file des « Sortants ». La femme attendait avec une poussette devant elle. La plus grande fille s’agrippait à sa trottinette tandis que le garçon tenant une figurine de super héros. Au bout de quelques minutes, des robots les firent avancer et ils disparurent derrière les grandes portes en métal.

En ce soir de fin d’été, la chaleur semblait monter du sol comme si un volcan allait sortir de terre. La décision avait été prise par le conseil. On lui avait dit que le vote avait été à l’unanimité. Cela ne l’avait pas étonné. Il savait que ce jour arriverait.

Il était monté au sommet de la grue. La vue était dégagée. Ramis avait décidé de passer la dernière nuit ici. Toutes ses affaires se trouvaient dans une petite malle dans la cabine tout en haut : le roman « Germinal » qu’il avait gardé depuis qu’il avait passé son bac, un t-shirt de la « Team Guelmi » et son vieil iPod. Dès qu’il le pouvait, il le mettait à recharger dans les quelques zones de la ville où l’électricité fonctionne encore.

Tout en haut, les jambes dans le vide, il regardait en silence son dernier coucher de soleil. L’assaut final était prévu pour 6h24. Juste avant que le soleil ne disparaisse à l’horizon, il chercha le bon titre à écouter pour officialiser la fin de ce jour. Au bout d’un instant, on vit un sourire sur son visage. Il appuya sur le bouton central de l’appareil.

« This is the end, beautiful friend

   This is the end, my only friend, the end »